jeudi 17 novembre 2016

Hyakunin isshu, poème n° 60 : 大江山

Petite pause dans les poèmes d'amour. Nous abordons aujourd'hui un genre nouveau, celui de la réplique cinglante. Koshikibu no Naishi (小式部内侍) est la fille d'Izumi Shikibu (和泉式部, cf. poème 56). La notice qui précède ce poème dans le Kinyôshû (n° 550) explique qu'avant un concours auquel Koshikibu devait participer, un malotru suggéra que la jeune femme ne pouvait composer sans l'aide de sa mère. Ce waka constitue une réponse impromptue et talentueuse à cette accusation sournoise.

大江山
いく野の道の
遠ければ
まだふみも見ず
天の橋立

おおえやま いくののみちの とおければ まだふみもみず あまのはしだて

天の橋立 Wikimedia Commons


大江山 : comme vous l'avez sans doute deviné, il s'agit du nom d'une montagne (山), le Mont Ôe, au nord-ouest de Kyôto ;
いく野の道の : いく野 (生野) est également un nom de lieu, avec un jeu de mot sur いく, qui signifie aussi aller ; 道, le chemin ; le premier の marque le complément de nom, le second marque le sujet (=が). Il s'agit donc du chemin au-delà de 大江山, passant par 生野, pour aller jusqu'au Pont du ciel (天の橋立, dernier vers & photo ci-dessus). La mère de notre poétesse résidait en effet dans la région de 丹後 (Tango), où se trouve cette merveille de la nature toujours très prisée ;
遠ければ : izen-kei de 遠し (loin) + ば, qui indique ici la cause : "parce que c'est loin" ;
まだふみも見ず : まだ, pas encore ; ふみ est un jeu de mots entre 文 (lettre) et 踏み (marcher sur) ; 見 (mizen-kei), suivi de la négation ず, signifie littéralement " ne pas voir" et a ici le sens de "faire l'expérience". Associés aux vers précédents, ceci signifie que notre poétesse n'a pas reçu de lettre (de sa mère), et n'a pas encore foulé le chemin qui mène au 天の橋立, parce que c'est loin. Elle n'a donc demandé/reçu d'aide de sa mère ;
天の橋立 : comme un indiqué plus haut, il s'agit d'un lieu réputé pour sa beauté, un pont (橋) naturel, appelé le Pont du ciel (天).
Je n'aime guère lire de la poésie avec des notes de bas de pages. Je préfère que tout soit dit dans le poème lui-même ou dans sa traduction. Il faut cependant reconnaître qu'avec la poésie japonaise (et sans doute celles de bien des cultures et langues éloignées) se priver de notes explicatives, c'est se condamner à louper tout ou partie du message, voir à ne rien comprendre du tout. C'est valable pour  le Hyakunin isshu comme pour les haïkus (hokku) de Bashô, en dépit de leur apparente simplicité.

Concernant le waka, les poèmes ont dès l'origine été accompagnés de commentaires, de notices, et le sont encore aujourd'hui. Sans ces informations, bien des vers demeureraient obscurs pour les Japonais eux-mêmes, et c'est particulièrement vrai pour le poème qui nous occupe aujourd'hui. Outre qu'il cite, du plus proche au plus lointain, les hauts lieux du Tango, il se distingue par deux habiles jeux de mots que je suis bien en peine de traduire.
Par le Mont Oe
le chemin des plaines d'Iku
est si lointain que
je n'ai jamais encore
foulé le Pont du ciel

Index en romaji : ooe yama iku no no michi no tookereba mada fumi mo mizu ama no hashidate

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