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jeudi 27 août 2015

Les aléas du sort

Je vous propose d'étudier aujourd'hui deux proverbes, ことわざ, qui illustrent cette vérité intemporelle : les aléas du sort sont imprévisibles et mieux vaut éviter de porter un jugement trop hâtif sur une situation.

塞翁が馬 (さいおうがうま)


Commençons par une petite analyse :

塞 (さい) a plusieurs sens et signifie ici "forteresse"
翁 (おう) a lui aussi plusieurs sens et signifie ici "vieil homme"
馬 (うま), plus facile, signifie "cheval"

La juxtaposition de tout cela n'est pas très limpide et il faut faire un détour par l'origine chinoise de cette expression pour la comprendre :

むかし、むかし...Il y a bien longtemps, un vieil homme, qui vivait près d'une forteresse, perdit un cheval qui s'enfuit sans qu'on puisse le rattraper. Ses voisins se lamentèrent pour lui : "Ah ! quel grand malheur !" Mais le vieil homme, circonspect, leur répondit : "Qui sait si cela ne produira pas d'heureux effets ?". Quelques temps plus tard, le cheval revint, entraînant à sa suite d'autres chevaux. Les voisins se réjouirent : "Ah ! quel grand bonheur !" Le vieillard, toujours sceptique, répondit : "Qui sait si cela ne sera pas source de malheur ?" En effet, quelques jours plus tard, en montant un cheval trop fougueux, son fils se brisa une jambe. Et les voisins de se lamenter devant le vieux sage imperturbable : "Qui sait s'il n'en sortira pas quelque bien?" Un peu plus tard, une guerre survint et la forteresse fut attaquée. Néanmoins, le fils du vieil homme, invalide, ne prit pas part au combat et survécut là où tant d'autres moururent.

塞翁 signifie donc "le vieil homme qui vit près de la forteresse", et le reste est une allusion à cette histoire de chevaux et à ce qui s'ensuit. Dans son intégralité, le proverbe rappelle qu'à juger qu'une chose est bonne ou mauvaise, on se trompe souvent, car on en ignore les causes et les conséquences. De tels jugements, qui portent sur des événements et des situations comme s'ils étaient isolés, sont nécessairement erronés, car ils reposent sur l'illusion que les choses sont des entités séparées les unes des autres, bonnes ou mauvaises en soi. Or le bouddhisme et le taoïsme enseignent au contraire que tout est un, interdépendant et que les choses ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-même. Ce sont nos jugements et notre ignorance qui les figent comme telles. 塞翁が馬 insiste aussi sur la versatilité du sort et le caractère éphémère de ce que nous nommons bonheur ou malheur.

Ajoutons qu'on trouve parfois une version plus complète de ce proverbe 人間万事塞翁が馬 (じんかんばんじさいおうがうま) ou 人間 ne désigne pas seulement les êtres humains, mais le monde et ou 万事, littéralement 10 000 choses, signifie "tout" : tout ce qui se déroule sous les cieux est imprévisible et changeant. Mieux vaut ne pas accorder trop d'importance aux aléas du sort, et vivre au mieux l'instant présent.

犬も歩けば棒に当たる (いぬもあるけばぼうにあたる)


Pour en finir avec cette idée d'imprévisibilité du sort, je vous propose un second proverbe :

犬 signifie "chien"
歩ければ est le conditionnel de あるく, marcher
棒 signifie "bâton"
棒に当たる : signifie ici "prendre un coup de bâton"

Ce qui donne, littéralement, "même un chien, s'il marche, prend un coup de bâton" : en résumé, si l'on met le nez dehors, on prend le risque de faire une mauvaise expérience. Mais cela signifie également, à l'inverse, que si l'on s'aventure dehors, une bonne surprise peut nous tomber dessus. Bref, on ne sait jamais ce qui peut arriver....

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Je ne sais pas si vous trouverez là-dedans de quoi vous consolez en cas de malheur, mais si cela vous incite à relativiser ce qui peut l'être, tant mieux ! それでは、また。

lundi 6 mai 2013

Proverbes autour de la table

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, j'aime beaucoup l'émission ひょうたんからコトバ (litt. "les mots de la gourde") diffusée sur NHK for School. C'est une émission qui présente avec un brin d'humour diverses expressions, 四字熟語 et ことわざ (proverbes) réunies autour d'un thème. Il m'arrive de m'en inspirer pour rédiger des articles et c'est le cas aujourd'hui. Le thème, c'est la nourriture, ou plutôt certains ingrédients, que l'on retrouve dans trois expressions

うどの大木 - うどのたいぼく - Bon à rien


Le premier ingrédient est le うど. Je n'ai pas trouvé d'équivalent français à cette plante de la famille des Aralia. C'est une plante sauvage comestible que l'on peut trouver au printemps (dans un haïku, le mot うど peut servir de 季語). Néanmoins, lorsque l'été arrive, la plante, qui peut alors atteindre deux mètres, n'est plus comestible et sa tige, trop souple, ne peut être utilisée à quoi que ce soit. Elle n'est donc plus bonne à rien. Ce qui a donné l'expression うどの大木 (grand うど) pour désigner quelqu'un de grand et de bon à rien. Ce qu'on pourrait peut-être traduire en français par "grande courge" ou "grande asperge".

山椒は小粒でもぴりりと辛い - Petit mais costaud


Le deuxième ingrédient est le 山椒 (さんしょう) que l'on nomme en français poivre du Sichuan (oui, le Sichuan est en Chine, mais ça n'empêche pas la même plante de pousser au Japon). Même si vous ne lisez pas l'article en lien, vous pourrez voir sur les photos les petites boules (environ 5 mm) qui servent à fabriquer ce condiment plutôt relevé (tout est une question de dosage, bien sûr).

On retrouve le 山椒 dans le proverbe suivant : 山椒は小粒でもぴりりと辛い (さんしょうはこつぶでもぴりりとからい) où 小粒 signifie petite graine et ぴりりと辛い très épicé. Cela donne donc "Même si le poivre sansho n'est qu'une petite graine, il pique fort". En résumé, être petit n'empêche pas d'être fort, si l'on a par ailleurs des bonnes capacités ou techniques.

Ces deux proverbes enseignent finalement la même chose : être grand ou petit n'est pas en soi un avantage ou un handicap, tout dépend de ce que l'on est capable de faire.

くさっても鯛 - くさってもたい - Valeur immuable


Pour finir, un proverbe qui n'a rien à voir avec la taille, mais qui tourne toujours autour de l'alimentation. L'ingrédient clé sera cette fois la dorade, ce poisson considéré comme le poisson roi au Japon. Dorade se dit 鯛 (たい), et c'est donc un plat de choix.

Dans le proverbe くさっても鯛、くさって est la forme en て de 腐る(くさる), qui signifie se gâter, pourrir. Le proverbe signifie donc littéralement "Même pas fraîche, cela reste de la dorade", car sa chair a tant de valeur qu'elle ne la perd pas si facilement. Autrement dit, les choses qui ont une réelle valeur ne la perdent pas, même si elles sont un peu abîmées. J'ai beau me creuser la tête, je n'arrive pas à trouver d'équivalent en français. Si quelqu'un a une idée, qu'il n'hésite pas à m'en faire part !

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Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. それでは、また。

Index en romaji : kusatte mo tai, sanshou ha kotsubu demo piriri to karai, udo no taiboku

vendredi 18 janvier 2013

がんばりましょう!

頑張る(がんばる): s'il y a bien un verbe emblématique de l'esprit japonais, c'est celui-là. Faire de son mieux, persévérer, c'est quelque chose qu'on inculque à la jeunesse (et donc aux futurs salaryman), notamment par le biais des mangas. Combien de shônen, entre autres, rabâchent l'idée qu'en allant au bout de son effort (avec ses nakama, bien sûr), on vient à bout de tous les obstacles ? Le verbe 頑張る est utilisé dans plein d'expressions courantes : 頑張ってください (qu'on peut traduire par "bon courage", "accrochez-vous", "faites de votre mieux"), お互いに頑張りましょう (faisons mutuellement de notre mieux)... Mais il existe pleins d'autres expressions autour de la même idée. Nous allons en voir quelques-unes.

背水の陣 (はいすいのじん)


背, c'est le dos, l'arrière-plan, la stature ;  水, c'est l'eau ; 陣, c'est la position (au sens militaire). 背水の陣, c'est donc littéralement être en position "dos à l'eau". L'expression vient de l'histoire de soldats chinois qui tremblaient devant un ennemi en supériorité numérique. Le général qui les commandait les plaça volontairement dos à une rivière (qu'on imagine large et tumultueuse), de sorte qu'ils ne puissent pas s'enfuir et n'aient d'autre choix que de vaincre l'ennemi pour ne pas mourir. Les soldats, dos au mur, avec l'énergie du désespoir, triomphèrent.

背水の陣, c'est donc l'idée d'être acculé et de se battre avec l'énergie du désespoir, alors même qu'on est en position difficile. De persévérer, quoi qu'il arrive.

Ex : 背水の陣で臨んだこの試合、負けるわけには行かないんだ En affrontant ce match avec l'énergie du désespoir, il est impossible que nous perdions ! (Sur わけには行かない, c'est par là)

七転び八起き (ななころびやおき)


Ce ことわざ (proverbe) contient deux chiffres, 七 (sept, なな) et 八 (huit), qui se prononce ici や et non はち. 転ぶ signifie tomber, 起きる, se relever. Cela signifie donc "tombé 7 fois, relevé 8 fois". Qu'importe le nombre d'échecs, si l'on persévère, on peut toujours se relever, et finalement triompher. Ce qui illustre le mieux ce proverbe, c'est ce qui se passe quand un enfant apprend à faire du vélo : il tombe, il tombe, puis il finit par tenir en selle ! Cela peut s'appliquer aussi à tous les hauts et les bas de la vie.


失敗は成功の基 (しっぱいはせいこうのもと)


Il s'agit d'un autre proverbe : 失敗 (しっぱい), c'est l'échec, et 成功 (せいこう), le succès. 基 (もと), c'est la base, le fondement. La traduction est donc toute simple : "L'échec est la base du succès", parce qu'on apprend de ses erreurs, et parce toute réussite s'appuie sur des échecs qui ont été surmontés (même si les winners de mauvaise foi préfèrent les oublier).

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Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. Je ne sais pas si c'est le cas pour vous, mais je trouve que ces petites phrases sont parfois consolantes. Lorsqu'on a le sentiment de ne pas être à la hauteur, d'avoir fait des erreurs, bref, d'avoir échoué d'une manière ou d'une autre, plutôt que de se morfondre, mieux vaut se dire 七転び八起き。Evidemment, c'est la même chose pour l'apprentissage du japonais. お互いに頑張りましょう !

Index en romaji : nana korobi ya oki, ganbatte kudasai, o tagai ni ganbarimashou, shippai ha seikou no moto, hai sui no jin, kotowaza

lundi 26 novembre 2012

Parler à un mur... en japonais

Je vais vous présenter aujourd'hui un 四字熟語 (よじじゅくご、proverbe en quatre caractères) que j'ai découvert récemment dans une émission de la NHK destinée aux écoliers japonais. Il s'agit de 馬耳東風 (ばじとうふう)。Les 4 caractères ont le mérite d'être simples :
  • 馬、うま, le cheval, ici prononcé ば
  • 耳、みみ, l'oreille, ici prononcé じ
  • 東、ひがし, l'Est, ici prononcé とう, comme dans 東京 (とうきょう)
  • 風、かぜ, le vent, ici prononcé ふう

Dans un 四字熟語, les caractères sont généralement associés deux par deux : nous avons donc d'un côté l'oreille d'un cheval, et de l'autre côté, un vent d'Est. Le vent d'Est en question, c'est un vent plaisant qui annonce le printemps (春、はる). Lorsque ce vent vient chatouiller les oreilles des gens, ils se disent "tiens, voilà le printemps !". Mais lorsqu'il frôle les oreilles du cheval, ce dernier reste indifférent, cela ne lui fait ni chaud ni froid (je pense que l'intelligence de l'animal est quelque peu sous-estimée, mais passons...).

Origine de l'expression


On trouverait l'origine de cette expression dans une lettre qu'un poète chinois, りはく, adressa à l'un de ses amis. Celui-ci se plaignait amèrement que sa propre poésie ne soit pas reconnue.  りはく lui répondit que ses talents n'étaient pas en cause, mais que les gens n'étaient pas capables d'apprécier la qualité de ses poèmes : "c'est comme si un vent d'est soufflait à l'oreille d'un cheval..."

Sens et usage


L'expression s'emploie donc pour dire que l'on parle à quelqu'un qui n'écoute pas ou qui reste indifférent. Cela équivaut donc à "parler à un mur", "parler dans le vide", etc. Cela peut par exemple s'employer quand quelqu'un n'écoute pas l'avertissement qu'on lui donne, parce qu'il est trop absorbé par ce qu'il fait, ou parce qu'il s'en fiche.

Mais il existe un autre usage. Par exemple, si sur un terrain de sport, les supporters du camp adverse essaient de déstabiliser un joueur, son entraîneur peut lui dire : 敵のヤジなんて、馬耳東風と聞き流せ!(Ne t'occupe pas de ce que dit l'adversaire ! Les chiens aboient, la caravane passe !")

Dans les deux cas, il s'agit bien de ne pas prêter attention à ce que les autres disent.

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Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. J'espère que je n'ai pas parlé dans le vide... :-)

Index en romaji : bajitoufuu, yojijukugo

lundi 20 août 2012

Celui qui parle ne sait pas

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer la sagesse orientale à travers quelques proverbes japonais. Il s'agissait alors de voir comment l'étroitesse de nos connaissances et de notre conscience limite et déforme notre vision du monde. Néanmoins, il ne faut pas voir là une invitation à courir le monde comme un fou pour tenter de tout voir, ou à dévorer des bibliothèques entières pour essayer de tout savoir. L'histoire de la grenouille incite plutôt à l'humilité, à une prise de conscience de nos limites et de notre appartenance à un tout qui nous dépasse. Le savoir en lui-même, en revanche, fait l'objet d'une certaine défiance (qu'on retrouve dans d'autres cultures, y compris la nôtre), car il est souvent superficiel et bavard. C'est ce qu'illustre le kotowaza suivant :


知る者は言わず、言う者は知らず (しるものはいわず、いうものはしらず)


D'abord un petit mot à mot :

知る (しる) : savoir, un verbe très courant.
者 (もの) : la personne, celui qui
は marque ici le sujet
言わず (いわず), équivalent en langue classique de 言わない, et qui veut donc dire ne pas parler
言う (言う) : dire, parler
知らず (しらず) : équivalent en langue classique de 知らない, ne pas savoir

Cela donne donc : "Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas". C'est quelque chose que l'on retrouve mot pour mot chez Lao-tseu (chap. 56), et c'est donc là qu'il faut situer l'origine de ce proverbe. Il signifie que ceux qui ont une connaissance approfondie des choses n'en parlent pas à la légère, car ils sont conscients de leur complexité et de ce qu'ils ignorent encore, à l'image de Socrate (Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien). A l'inverse ceux qui parlent de tout avec beaucoup d'assurance sont souvent ceux qui n'ont qu'une connaissance superficielle des choses. Encore une fois, "connaissance" et "savoir" ne signifient pas ici "érudition" mais plutôt "sagesse".


見猿、聞か猿、言わ猿 : les trois singes de la sagesse

 

 

Tôshôgu, Nikkô

Le proverbe que nous venons de voir fait penser à ces trois singes que l'on peut voir notamment à 日光 (にっこう). Leurs noms constituent un jeu de mots entre la négation en langue classique ざる et さる (猿、singe), que nous avons déjà croisé dans un autre kotowaza.

  • 見猿 (みざる) : celui qui ne voit pas ;
  • 聞か猿 (きかざる) : celui qui n'écoute pas ;
  • 言わ猿 (いわざる) : celui qui ne parle pas.

Nous avons donc un singe qui ne voit rien, qui écoute et qui parle, un autre qui n'écoute rien, mais qui voit et parle, et un troisième qui voit, écoute... et ne parle pas. Car comme nous venons de le voir, celui qui sait ne parle pas.

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Si l'on en revient à Lao-tseu, la sagesse, le véritable savoir, c'est de prendre conscience de la voie, et de lâcher ainsi tout vain savoir, bavard et inutile :

Abandonne l'étude et par là le souci (...)
Chacun s'échauffe et se dilate (...)
Moi seul demeure en paix, imperturbable
Comme un petit enfant qui n'a pas encore ri (...)
Chacun amasse et thésaurise
Moi seul je parais démuni
Quel innocent je fais !
Quel idiot je suis !
Chacun paraît malin, malin,
Moi seul me tais, me tais (...)
A chacun quelque affaire
Moi seul je m'en abstiens (...)
Pourquoi si singulier ?
Je sais têter ma Mère [le Tao].

(Lao-tseu, La voie et sa vertu, chap. 20, trad. de François Houang et Pierre Leyris)

Sur ce, bonne méditation. またね。

Index en romaji : mizaru, kikazaru, iwazaru, nikko, shiru mono ha iwazu, iu mono ha shirazu

dimanche 1 juillet 2012

Ce qui est fait est fait

Pour apprendre une langue, rien ne vaut les échanges avec ceux qui la parlent au quotidien depuis leur plus tendre enfance. Donc pour apprendre le japonais, rien de tel qu'un(e) ami(e) japonais(e). Comme on n'en a pas toujours sous la main, il faut souvent se contenter d'échanges à distance, qui sont certes dématérialisés mais pas virtuels pour autant. Ce sont des échanges bien réels et souvent très riches. Il en est ainsi de mes échanges avec Tamama, de Franponais 24h, et je l'en remercie. Dans l'une de nos dernières conversations, elle m'a fait découvrir le proverbe ci-dessous, dont nous allons parler aujourd'hui.

覆水盆に返らず (ふくすいぼんにかえらず)


Commençons comme d'habitude par un mot à mot :

  • 覆 (ふく) a plusieurs sens, mais celui qui nous intéresse ici est "renversé"
  • 水 (すい) : l'eau
  • 盆 (ぼん) : là encore, plusieurs sens, mais ici cela signifie plateau. Pour info, c'est aussi le 盆 de 盆栽 (ぼんさい). Comme 栽 signifie "plantation", bonsaï signifie donc littéralement "plantation sur un plateau", ce qui correspond bien à la réalité. A noter enfin que ce 盆 est aussi utilisé dans お盆, les festivités du mois d'août
  • に indique ici la destination
  • 返らず (かえらず) : ne pas revenir, ne pas retourner (équivalent en langue classique de 返らない, négation de 返る)

Littéralement : "l'eau renversée ne retourne pas sur le plateau." On voit bien que cela fait allusion à quelque chose d'irréversible, à une erreur qui ne peut être réparée, mais la métaphore reste un peu obscure. Pour en savoir plus, j'ai mené ma petite enquête et j'ai trouvé sur la Wikipédia japonaise l'histoire suivante :

Le chinois Jiang Ziya (qui s'appelle en japonais りょしょう ou たいこうぼう), grande figure du taoïsme, avait une femme qui le trouvait bien paresseux, car il passait son temps à lire au lieu de travailler. Déplorant ce manque d'ambition, elle demanda le divorce. Mal lui en prit, car son mari devint ensuite ministre des Zhou. Alors qu'elle cherchait à se réconcilier avec lui, Jiang Ziya apporta sur un plateau un récipient contenant de l'eau. Puis il renversa le récipient et demanda à son ex-épouse si elle pouvait remettre l'eau sur le plateau, ce qui était bien sûr impossible. Il lui expliqua qu'il en était de même pour eux : leur histoire était terminée.

Voilà expliquée l'histoire de l'eau et du plateau. A noter qu'il existe une version en 四字熟語 (ようじじゅくご) de ce ことわざ、覆水不返 (ふくすいふへん - l'eau renversée ne revient pas), dans laquelle le plateau disparaît.

Le sens du proverbe est donc le suivant : lorsque l'on commet une erreur irréversible, lorsque l'on connaît un échec auquel on ne peut remédier (dans un couple ou dans d'autres circonstances), il est inutile de pleurer et de protester, car on ne peut revenir en arrière. Mieux vaut donc ne pas s'encombrer de regrets, car comme le chante Daniel Darc :

Les regrets ça va droit au cœur
Et ça y reste
Jusqu'à ce qu’on meure

それでは、また!

Index en romaji : kotowaza, yojijukugo, fuku sui bon ni kaerazu

vendredi 6 avril 2012

井の中の蛙 - La grenouille au fond du puits

Je vous livre aujourd'hui quelques proverbes japonais et autres 四字熟語, inspirés par le bouddhisme et le taoïsme, qui traitent de l'étroitesse de nos connaissances et des limites que cela impose à notre vision des choses. Nous allons commencer notre quart d'heure philosophie avec une grenouille un peu bornée.

井の中の蛙大海を知らず - いのなかのかわずたいかいをしらず


D'abord un petit mot-à-mot :
  • 井 (い) : le puits ;
  • の : la particule du complément de nom ;
  • 中 (なか) : le milieu, le centre. の中 veut donc dire "dans" ;
  • 蛙 (かわず) : la grenouille. Ce n'est ni un 常用, ni un 人名用漢字, mais on le rencontre tout de même régulièrement, surtout dans la poésie ;
  • 大(たい) : grand ;
  • 海 (かい) : mer. 大海 : la grande mer, donc l'océan ;
  • を : particule indiquant le complément d'objet ;
  • 知らず : ne pas savoir (équivalent en langue classique de 知らない、négation de 知る).

La traduction de ce ことわざ est donc très simple : "La grenouille dans le puits ne connaît pas l'océan". On prête à ce proverbe des origines indiennes et chinoises, et cette histoire de grenouille a vraisemblablement suivi l'expansion du bouddhisme. Ce qui est certain, c'est qu'on la retrouve dans la tradition taoïste, et plus particulièrement chez Zhuangzi. De la Chine, elle est tout naturellement passée au Japon. L'idée, c'est que la pauvre grenouille qui n'est jamais sortie de son puits ne connaît pas l'océan (le tao) et ne peut le concevoir. Elle pense que le réel se limite à ce qu'elle connaît, et qu'il n'existe rien de mieux que son puits. Si quelqu'un vient lui parler de cette chose extraordinaire qu'est l'océan, elle refuse de croire son interlocuteur ou explose (selon les versions), car son cadre de pensée, limité à son trou, ne peut supporter une telle révolution, de même que nos consciences étroites échouent à comprendre le tao.

Concrètement, le proverbe est employé, souvent de manière abrégée (井の中の蛙), pour émettre une critique à l'endroit d'une personne qui ne sort jamais de chez elle, de son cercle de connaissance, de sa spécialité, et n'a pas la curiosité d'aller voir ailleurs. La critique vise aussi les prétentieux qui pensent tout connaître, persuadés que le monde gravite autour d'eux, alors qu'ils ne sont jamais sortis de leur univers cloisonné, comme la grenouille. Au-delà, il s'agit d'une mise en garde contre tout jugement hâtif : le monde ne se limite pas à l'expérience personnelle de chacun, il ne faut pas rejeter d'emblée ce qu'on ne connaît pas.

夏虫疑氷 - かちゅうぎひょう


Il s'agit cette fois d'un 四字熟語, composé des quatre caractères suivants :
  • 夏 (か) : l'été
  • 虫 (ちゅう) : insecte
  • 疑 (ぎ)  : douter
  • 氷 (ひょう) : la glace

Littéralement, on a donc : "l'insecte de l'été doute de la glace". En développant un peu, cela donne "l'insecte qui ne vit qu'un été doute de l'existence de la glace (en hiver)". Là encore, il s'agit d'une image utilisée par Zhuangzi. L'allégorie de la grenouille s'appuyait sur une limitation spatiale (le puits), ici, la restriction est temporelle (une saison). Dans les deux cas, l'idée est la même : l'expérience personnelle est limitée, et s'il l'on n'en prend pas conscience, on est amené à mettre en doute tout ce qui nous dépasse, passant à côté de la vérité. Cette expression, comme la précédente, est employée pour formuler une critique.

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Il existe bien d'autres expressions du ce genre, comme 針の穴から天を覗く(はりのあなからてんをのぞく: regarder le ciel à travers le chas d'une aiguille) ou 管を以て天を窺う (くだをもっててんをうかがう : regarder le ciel avec un tuyau) qui soulignent toujours la même chose : l'étroitesse de notre conscience et de nos connaissances limitent notre vision des choses et nous empêchent de percevoir que nous sommes qu'une partie d'un tout.

Je vous laisse sur ces grenouillantes réflexions. では,また

Index en romaji : yojijukugo, kotowaza, i no naka no kawazu taikai wo shirazu, kachuu gi hyou

dimanche 25 mars 2012

Un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras" : quelques proverbes japonais

Les ことわざ, proverbes japonais, tout en utilisant des images différentes, sont parfois très proches des nôtres et traduisent une sagesse universelle et populaire. Aujourd'hui, nous allons apprendre à nous satisfaire de ce que nous avons, et à ne pas s'éparpiller au risque de ne rien attraper. さあ、始めよう!

明日の百より、今日の五十 (あしたのひゃくより、きょうのごじゅう)

Celui-ci fait appel à un vocabulaire assez simple :
  • 明日 : demain
  • の : pour indiquer le complément de nom
  • 百 : cent
  • より : ici "plutôt que". Nous avons déjà vu ce mot lorsque nous avons parlé des comparatifs.
  • 今日 : aujourd'hui
  • 五十 : 50
Ce qui nous donne tout naturellement : "Plutôt que les cents de demain, les cinquante d'aujourd'hui". D'où : un "tiens" vaut mieux que deux "tu l'auras". Il existe une seconde expression au sens presque similaire :

あるはないに勝る (あるはないにまさる)

  • ある : avoir/être
  • は : pour indiquer le thème
  • ない : ne pas, rien
  • に : ici la particule a le sens de "par rapport à"
  • 勝る : surpasser, être supérieur
"Ce qui est, est supérieur à ce qui n'est pas",  autrement dit "Mieux vaut quelque chose plutôt que rien." Il est en effet essentiel de savoir se contenter de ce qu'on obtient, au lieu d'en vouloir toujours plus sans être jamais rassasié. De plus, à vouloir tout et son contraire, on risque la chose suivante :

虻蜂とらず (あぶはちとらず)

  • 虻 : le taon
  • 蜂 : l'abeille ou la guêpe
  • とらず : sans attraper / ne pas attraper. Forme dérivée de とる>とらな>とらず
Littéralement : "N'attraper ni taon, ni guêpe". Ce qui correspond en français à "courir deux lièvres à la fois, et n'en attraper aucun"

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Voilà quelques expressions pour vous inciter à ne pas vous disperser dans votre apprentissage et à vous contenter de vos progrès, même si vous trouvez qu'ils ne sont pas assez rapides. あるはないに勝る. C'est toujours mieux que rien, non ?

Index en romaji : abu hachi torazu, aru ha nai ni masaru, ashita no hyaku yori, kyou no gojuu, kotowaza

mercredi 29 février 2012

猿も木から落ちる : même les meilleurs peuvent faire des erreurs

Comme dans toutes les langues, on trouve en japonais un grand nombre de proverbes, qui se nomment en japonais ことわざ. Nous allons en étudier trois aujourd'hui, qui ont le même sens et qui ont le mérite d'être assez imagés. L'idée exprimée par ces ことわざ, c'est que tout le monde fait des erreurs, y compris les meilleurs. Ils peuvent être utilisés pour consoler quelqu'un qui connaît un échec dans son domaine de prédilection.

猿も木から落ちる


  • 猿 (さる) c'est le singe. Dans les mangas, il est assez fréquent que le mot soit employé pour se moquer d'un personnage (comme Monta-kun dans Eyeshield 21) ;
  • も, comme vous le savez sans doute, signifie "aussi" ;
  • 木, c'est l'arbre ;
  • から indique la provenance ;
  •  落ちる signifie "tomber".
On peut donc traduire l'ensemble par "Même les singes tombent [parfois] de l'arbre", sous-entendu "alors qu'ils sont si doués pour grimper aux arbres". Plutôt amusant comme image, non ?

弘法にも筆の誤り


  • 弘法 (こうぼう) se réfère à 弘法大師 (こうぼうだいし), figure spirituelle importante du bouddhisme japonais. C'est surtout un des plus grands calligraphes de l'époque Heian, et c'est à cela que le ことわざ fait référence.
  • にも : on retrouve le も qui signifie "aussi", précédé de に, qui veut dire ici "pour" ;
  • 筆 (ふで), c'est le pinceau du calligraphe ;
  • の marque normalement le complément de nom, mais il a ici le sens de が
  • 誤り, c'est l'erreur.
Pour rester assez littéral, on peut donc traduire par : "Même le pinceau de Kôbôdaishi fait des erreurs", c'est-à-dire "Même le grand Kôbôdaishi peut rater une calligraphie". Un jour de fatigue, on imagine la main qui tremble, le pinceau qui dérape, une éclaboussure d'encre...

河童の川流れ


  • 河童 (かっぱ) fait référence à un monstre mythologique, sorte de génie de l'eau. Le mot désigne aussi un excellent nageur.
  • 川, la rivière
  • の a ici encore le sens de が
  • 流れ, le courant, s'écouler. Ici, 川流れ signifie "emporté par le courant"
La traduction est donc : Même un kappa peut être emporté par le courant. Voilà donc notre nageur mythologique avec une crampe au mollet, qui se laisse emporter et boit la tasse.

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Derrière ces trois expressions, il y a l'idée que l'être humain est faillible et que tout ce qui n'est pas divin, si doué soit-il, est susceptible de connaître l'échec. C'est donc à la fois une leçon d'humilité et une façon de relativiser ses erreurs. En tout cas, vous disposez maintenant de trois belles expressions pour consoler de manière flatteuse vos amis japonais quand ils commettent une faute : 猿も木から落ちる !

Index en romaji : saru mo ki kara ochiru, kappa no kawanagare, kobou ni mo fude no ayamari, kotowaza, proverbes japonais

lundi 20 février 2012

一生懸命 : de toutes ses forces

一生懸命 (いっしょうけんめい) est un 四字熟語 (よじじゅくご), une expression idiomatique composée de 4 caractères. Ces expressions sont très nombreuses, parfois assez imagées et amusantes, ce qui n'est pas vraiment le cas de 一生懸命. Je commence néanmoins par celle-ci, car elle signifie "de toutes ses forces", et comme les Japonais ont le goût de l'effort (ou du moins sont censés l'avoir), elle est assez courante.

Regardons d'abord le sens de chaque 漢字 :
  • 一 signifie "un"
  • 生 signifie vie, naissance, cru. Ici, c'est le sens de vie qui nous intéresse.
  • 懸 est plus complexe. Il signifie dépendre, suspendre.
  • 命 signifie ordre, destin. Ici on retiendra plutôt le sens de destin.

Regardons maintenant les deux couples de 漢字 qui forment l'expression :
  • 一生 signifie "existence", "toute la vie" (de quelqu'un).
Ex : 一生に一度 (une fois dans une vie)
Ex : 彼女の一生のうちで一番よかったのは子供のころだろう (De toute sa vie, le moment où elle a été le plus heureuse est sans doute son enfance)

  • 懸命 a le sens de ferveur dans l'effort, de sérieux, voire de mettre sa vie en jeu. 
Ex : 彼は懸命に戦う (il se bat vaillamment, avec la force du désespoir)

Si l'on remet tout ensemble, on a donc l'idée de jeter toutes ses forces dans la bataille, pour mener le combat de sa vie... ce qui donne plus modestement "de toutes ses forces", parce que ce que l'on fait 一生懸命 n'a pas toujours un caractère vital et existentiel :

彼女がくる前に、彼は一生懸命掃除をした。(Avant que sa petite amie n'arrive, il fit le ménage de tout son cœur).

Mais cela peut-être une question de vie ou de mort : 

幽霊を見て、おじいさんは一生懸命走った。(En voyant le fantôme, le viel homme se mit à courir de toutes ses forces).

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Voilà, cette expression n'a plus de secret pour vous. みんなさんは、一生懸命勉強して、上手になりますよ!

Index en romaji : isshou ken mei, isshoukenmei