mercredi 11 octobre 2017

Hyakunin isshu, poème n° 83 : 世の中よ

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Voici un poème quelque peu mélancolique de Fujiwara no Toshinari (藤原俊成), père de Teika, également connu sous le nom Shunzei (qui n'est qu'une seconde lecture de 俊成). Poète et théoricien majeur, il est l'auteur d'un traité de poétique et le compilateur de la 7e anthologie impériale, le Senzai-shû.
Shunzei vit à l'époque de la guerre de Genpei 源平. Outre le lot de misères engendrées par le conflit lui-même, les nobles de cette époque voient leur statut social s'affaiblir au profit des guerriers. On approche de la fin de l'époque Heian et bientôt le shogunat consacrera le pouvoir des 武士 (samouraï). Les intellectuels sombrent dans le pessimisme. C'est dans ce contexte que Shunzei a composé ces vers (Senzaishû, n° 1148), qui appartiennent à une séquence de
cent poèmes ayant pour thème l'expression des sentiments (plaintes) personnels (jukkai, 述懐) et comme sous-thème "le cerf" :

世の中よ
道こそなけれ
思ひ入る
山の奥にも
鹿ぞ鳴くなる

(よのなかよ みちこそなけれ おもいいる やまのおくにも しかぞなくなる)

世の中よ : 世, ce bas-monde / la société, 世の中, au sein de ce monde, よ est une interjection exclamative ;
道こそなけれ : 道, chemin, au sens de "moyen de" ; こそ, particule emphatique, est grammaticalement lié à なけれ, izen-kei de なし, équivalent de ない : il n'y a pas de chemin ;
思ひ入る : littéralement entrer (入る, rentai-kei) dans ses pensées (思ひ), équivalent de 思い込む, être plongé dans ses pensées, dans ses soucis. Et pour une fois, il ne s'agit pas de tourment amoureux ! Par ailleurs, il y a un jeu de mots sur 入る, qui peut aussi être associé au vers suivant, avec le sens de pénétrer au cœur de la montagne ;
山の奥にも : 山, la montagne, 奥, les profondeurs, l'intérieur, donc 山の奥に "au fond de la montagne" ; も a ici le sens de "même" et établit un parallèle entre le monde et la montagne (même au fond de la montagne) ;
鹿ぞ鳴くなる : 鹿, le cerf, 鳴く (shûshi-kei), crier pour un animal, mais aussi pleurer (泣く). Le brame du cerf est ici associé à l'idée de tristesse et de solitude, comme dans le poème n° 5, où nous avions aussi un cerf bramant dans les profondeurs de la montagne ; ぞ est une particule emphatique grammaticalement lié à なる, rentai-kei de なり, qui a ici un sens de supposition, de jugement basé sur les circonstances (comme らしい) : "il semble que". Le cerf semble crier/pleurer, son cri semble déchirant.

Dans ce monde, il n'y pas pas moyen d'échapper à la souffrance. Même en allant au fin fond des montagnes (ou en se faisant moine), on n'échappe pas à la tristesse de ce bas monde et de sa propre finitude (symbolisée par le cri du cerf) : 

Dans ce monde, hélas
il n'est nul chemin ; allant,
l'esprit tourmenté
au cœur des montagnes, voilà
le cerf qui pousse sa plainte !

Index en romaji : yo no naka yo michi koso nakere omoi iru yama no oku ni mo shika zo nakun aru

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