mardi 9 janvier 2018

Hyakunin isshu, poème n° 90 : 見せばやな



Voici un poème d'amour écrit pour un concours par Inpumon-In no Daifu (ou Tayû) (殷富門院大輔), disciple de Shun'e (poème 85). La poétesse surenchérit ici sur un poème plus ancien (1) de Minamoto no Shigeyuki (源重之, poème 48). Ce procédé stylistique consistant à composer une variation sur un poème antérieur, relativement fréquent, est appelé honkadori (本歌取). Par ailleurs, ces vers figurent également dans le Senzaishû (n° 884).


見せばやな
雄島の海人の
袖だにも
濡れにぞ濡れし
色は変はらず

みせばやな おじまのあまの そでだにも ぬれにぞぬれし いろはかはらず

見せばやな : 見せ est la mizen-kei de 見す, équivalent de 見せる (montrer, se montrer) ; ばや exprime le désir du locuteur ; な ajoute à cela une nuance d'exclamation ;
雄島の海人の : 雄島 est le nom d'une île (島) de la préfecture de Miyagi, dans la baie de Matsushima (il y a une île du même nom dans la préfecture de Fukui) ; 海人, le pêcheur ; les deux の marquent le complément de nom ;
袖だにも : 袖, la manche, ce qui, dans les poèmes d'amour, évoque les larmes ; だに établit une comparaison entre quelque chose d'insignifiant (les manches du pêcheur) et quelque chose de plus important (les larmes de la dame) ; も est emphatique ;
濡れにぞ濡れし : 濡れ est la renyou-kei de 濡る (濡れる en japonais moderne), être trempé ; に, avec la répétition du verbe 濡れ est ici une forme d'insistance ; ぞ et し sont grammaticalement liés ; ぞ est emphatique ; し est la rentai-kei de き, marque du passé ;
色は変はらず : 色, la couleur (des manches) ; は introduit une distinction entre les manches du pêcheur et les manches de la dame ; 変はら est la mizen-kei de 変はる ( = 変わる, changer) et ず est une négation. Autrement dit, elles ont beau être trempées, les manches du pêcheur ne changent pas complètement de couleur ; celles de la dame, en revanche, changent de couleur à force d'être trempées de larmes amères (on parle de "larmes de sang", 血の涙)

Dans le poème d'origine (本歌) une dame déplorait qu'à force de larmes ses manches soit aussi trempées que celles des pêcheurs d'Ojima, établissant entre les deux un simple rapport d'égalité. Notre poétesse répond deux siècles après son illustre prédécesseur en disant qu'elle aimerait bien lui montrer ses manches à elle, car ses larmes douloureuses sont allées jusqu'à en changer la couleur.

Ah s'il pouvait voir
 mes manches... car celles même
des pêcheurs d'Ojima
si trempées soient-elles, au moins
ne changent pas de couleur.

(1) Il s'agit du poème n° 828 du Goshûishû :

松島や
雄島の磯に
あさりせし
あまの袖こそ
かくは濡れしか

que l'on peut grossièrement traduire par : 

Ah Matsushima
sur la plage d'Ojima
les manches des pêcheurs
en train de pêcher
doivent être trempées (sous-entendu comme les miennes sont trempées de larmes)

Index en romaji : misebaya na ojima no ama no sode dani mo nure ni zo nureshi iro ha kaharazu

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