jeudi 22 février 2018

Hyakunin isshu, poème n° 94 : み吉野の



Contemporain de Teika, notre poète du jour, le conseiller Masatsune (参議雅経) a participé avec lui à la compilation du ShinKokinshû, où l'on trouve d'ailleurs ce poème automnal (n° 483), inspiré d'un poème de Korenori (1).


み吉野の
山の秋風
さ夜更けて
ふるさと寒く
衣打つなり

みよしのの やまのあきかぜ さよふけて ふるさとさむく ころもうつなり


み吉野の : み (御) est un préfixe honorifique, qui se rapporte souvent aux dieux ou à l'empereur, mais aussi aux lieux en altitude. Dans tous les cas, il sert à mettre en valeur ce qui suit. Yoshino 吉野 est un lieu de l'actuelle préfecture de Nara, où se trouvait jadis une villa impériale fort prisée par Jitô Tennô. Si depuis la fin du XIIe siècle, Yoshino est réputé pour ses cerisiers fleuris, à l'époque du poème de Korenori, sur lequel s'appuie Masatsune, c'est un lieu souvent associé à des hivers froids ; の marque le complément de nom ;
山の秋風 : 山, la montagne ; の marque le complément de nom ; 秋風, le vent d'automne ;
さ夜更けて : voilà un vers que l'on retrouve à la même place dans le poème 59, auquel il n'est néanmoins pas fait référence ici (j'imagine qu'en creusant un peu, on trouverait ce vers dans bien d'autres poèmes). 夜, la nuit, est précédée du préfixe phonétique さ ; 更けて est la renyou-kei de 更く qui évoque l'idée d'avancer dans une saison, dans la nuit, etc ;
ふるさと寒く : 寒く est la renyou-kei de 寒し, froid, et s'applique aussi bien à ce qui précède qu'à ce qui suit ; ふるさと évoque normalement le village natal, l'endroit où l'on se sent chez soi. Mais d'après le Kojien, le mot peut également avoir le sens "d'ancienne capitale". Dans le poème de Korenori (1) ふるさと a indubitablement ce sens : le Kokinshû indique que le poème a été composé à Nara, qui est bien une ancienne capitale, et Korenori ne fait que songer à Yoshino ("la neige doit s'accumuler", c'est une supposition, il n'y est pas). Ici, on considère généralement que ふるさと se réfère à Yoshino et à l'ancienne résidence impériale, ce que R. Sieffert traduit par "antique séjour". Le Pr. Mostow a néanmoins traduit par "former capital", mais de son propre aveu (car je lui ai posé la question), il ne ferait pas le même choix aujourd'hui ; Michel Revon s'en tient à "vieux village", ce qui fait disparaître tout référence au prestigieux passé du lieu...
衣打つなり : 衣, le vêtement, 打つ (shushi-kei), frapper ; on bat le linge pour assouplir et lustrer les tissus ; c'était apparemment un travail que les femmes des villages de montagne faisaient la nuit durant, avec ce genre d'outils ; なり exprime ici une supposition fondée sur quelque chose que l'on entend.

La sensation de froid semble donc produite à la fois par le vent d'automne qui souffle depuis le mont Yoshino et par le son du linge qu'on bat, associé aux fraîches nuits d'automne. Le sens général est assez clair, mais la traduction n'a rien d'évident. Je vous propose ceci :

Du mont Yoshino
souffle le vent d'automne
dans la nuit profonde
de l'ancienne cité vient
le son du linge qu'on bat


(1) Kokinshû, poème n° 325 : み吉野の 山の白雪つもるらし ふるさと寒くなりまさるなり. Ce que Michel Vieillard-Baron traduit ainsi : "La neige immaculée / sur les monts du beau Yoshino / doit s'accumuler : / dans l'antique capitale / le froid s'est fait plus perçant" (Recueil des joyaux d'or, traduit et présenté par Michel Vieillard-Baron, Les Belles lettres, 2015, p. 70).

Index en romaji : mi yoshino no yama no aki kaze sa yo fukete furusato samuku koromo utsu nari

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