mercredi 18 septembre 2013

Relaxation et poésie japonaise

Je vais vous faire une confidence : je suis plutôt du genre nerveuse et pas vraiment patiente (sauf pour le japonais). Comme Naruto, j'abrite en moi un Kyûbi qui ne demande qu'à sortir ses neufs queues et à me consumer. Comme Naruto, j'essaie de juguler la bête pour ne pas nuire à mon entourage. Comme lui encore, je tente de sympathiser avec le monstre afin d'utiliser sereinement et utilement son énergie. Néanmoins, je n'ai pas la force de caractère du ninja de Konoha et mes relations avec mon Kyûbi sont encore assez tendues. Pour qu'il se tienne tranquille, j'ai donc recours à diverses techniques qui ne relèvent pas du ninjutsu mais de la méditation, de la relaxation, chacune apportant ses bienfaits et permettant des progrès lents mais certains. Si le travail de fond est essentiel, il est important aussi d'avoir des outils pour faire reculer l'animal dans l'urgence, au moment où il ne demande qu'à sortir : adopter une respiration appropriée est une bonne technique, mais recourir à un divertissement pour créer une distance entre soi et les émotions négatives fonctionne bien aussi. Athénodore, philosophe stoïcien, conseillait à l'empereur Auguste de réciter l'alphabet (lentement, de préférence) quand il sentait la colère bouillonner en lui, avant de dire ou faire quoi que ce soit. Ça paraît idiot, mais ça ne l'est pas. Cela permet d'introduire le recul nécessaire pour ne pas se laisser emporter.

On peut néanmoins trouver mieux que l'alphabet. Pour ma part, j'ai constaté depuis longtemps que les sons de la langue japonaise ont tendance à produire sur moi un effet apaisant (ne me demandez pas pourquoi). Et la poésie japonaise plus encore. En regardant Chihayafuru, un anime consacré au karuta de compétition, une discipline typiquement japonaise, j'ai donc eu envie de m'intéresser à l'anthologie de cent poèmes (百人一首) qui sert de base pour le jeu. Et de vous en présenter quelques-uns (tous peut-être, selon l'envie). L'effet anti-stress n'est pas scientifiquement établi, mais c'est une façon comme une autre d'apprendre le japonais. Après cette longue introduction-digression, je vais donc vous parler du poème introductif (序歌). Il ne fait pas partie des cent poèmes à proprement parler, mais toute compétition de karuta commence avec ce chant, que l'on entend beaucoup dans l'anime susmentionné. Ce waka, utilisé pour l'apprentissage de la poésie, était déjà un classique à l'époque de Ki no Tsurayuki, qui l'évoque dans sa préface au Kokinshû. Sei Shônagon le mentionne également dans ses Notes de chevet (n° 13, p. 45 dans la traduction d'André Beaujard) :

難波津に
咲くやこの花
冬ごもり
今を春べと
咲くやこの花

(なにわづに  さくやこのはな  ふゆごもり  いまをはるべと  さくやこのはな)

Un peu de vocabulaire pour commencer :

難波津 (なにわづ) : baie de Naniwa, nom de l'ancien port d'Osaka
咲く (さく) : fleurir
や : ne se traduit pas vraiment, un peu comme les kireji dans les haïku. On pourrait le remplacer par la particule finale よ.
この花 (このはな) : cette fleur, ces fleurs. Désigne ici les fleurs de prunier.
冬ごもり(ふゆごもり) : 冬, c'est l'hiver, こもり l'idée de repli sur soi, d'enfermement (la première syllabe se transforme en ご associée à un autre nom). C'est un terme utilisé en poésie classique pour mettre en valeur 春, le printemps, qui vient juste après, l'idée étant que l'hiver tient reclus le printemps et ses fleurs. On retrouve déjà cette association dans le Man'yôshû (poème n°16).
今 : maintenant. Le を qui suit reste assez énigmatique pour moi. Mais il existe des versions où il est remplacé par は, on peut donc considérer qu'il a la même valeur.
春べと (はるべと) : 春べ, le moment du printemps. Avec と : quand vient le printemps.

Je vous propose la traduction suivante :

Dans la baie d'Osaka 
s'épanouissent les fleurs ;  
closes pendant l'hiver, 
à l'arrivée du printemps
elles s'épanouissent, les fleurs

Pour vous donner une idée de la façon dont ça se lit, je vous invite à regarder cette vidéo. Nos oreilles sont peu habituées à de telles sonorités, mais après deux saisons de Chihayafuru, ça m'est presque devenu familier :


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Réciter ces vers en visualisant le bord de mer et les pruniers en fleurs d'une époque révolue a pour l'instant sur moi des effets très bénéfiques. Je ne sais pas si vous tomberez sous le charme de ces poèmes, mais je conseille à ceux qui ne connaissent pas encore de regarder Chihayafuru pour s'initier à cet univers très japonais.

Index en romaji : naniwazuni sakuyakonohana fuyugomori imawoharubeto sakuyakonohana

1 commentaire:

Unknown a dit…

Wouah vous êtes vraiment doués.
J'essaie d'apprendre la karuta alors j'essaie de connaitre les poemes et en regardant votre blog, je viens de me rendre compte que je dois aussi comprendre leur signification, leur sens, donner vie aux cartes.
Merci.