lundi 14 octobre 2013

Hyakunin isshu : poème n° 1 : 秋の田の

Aujourd'hui, je vais décortiquer le premier poème du 百人一首, cette anthologie de cent poèmes utilisées pour jouer au karuta. La dernière fois, je vous avais présenté le poème introductif utilisé pour les compétitions de karuta, mais comme je l'avais signalé alors, ce dernier ne fait pas partie des cent poèmes sélectionnés par Fujiwara Sadaie (藤原定家, également appelé Fujiwara no Teika, ou plus familièrement Teika) au début du XIIIe siècle. C'est pourquoi 秋の田の est bel et bien le premier poème du recueil. Au fait, pourquoi 百人一首 ? 百人, c'est cent hommes, c'est-à-dire cent poètes. Mais que vient faire 首 (cou), là-dedans ? En fait, 一首 désigne aussi un tanka : de cent poètes un poème, voilà ce que signifie littéralement le titre du recueil, et c'est d'ailleurs celui qu'a retenu René Sieffert dans sa traduction.



Passons maintenant au poème du jour, dont l'auteur est un empereur et non des moindres, puisqu'il s'agit de Tenji Tennô (天智天皇), auteur d'un coup d'Etat et de la réforme de Taika, à l'origine d'un renforcement du pouvoir impérial qui sera poursuivi par ses successeurs. Comme tout aristocrate de l'époque, l'empereur se livrait à la poésie, passe-temps qui relevait plus du rite social et que de l'activité artistique à proprement parler. Il faut néanmoins préciser que l'attribution de ce poème à Tenji est parfois contestée (on lui accorde toutefois d'autres poèmes dans le Man'yôshû).


秋の田の
かりほの庵の
苫をあらみ
我が衣手は
露にぬれつつ

(あきの たの  かりほのいおの   とまをあらみ  わがころもでは  つゆにぬれつつ)


秋の田の : 秋, l'automne, 田, les champs, les deux の marquent le complément de nom ;
かりほの庵の : かりほ peut désigner une hutte temporaire ou la moisson du riz, et on peut considérer qu'il y a un jeu de mots entre les deux, même si le premier sens l'emporte ici ; 庵 signifie au sens propre "retraite, ermitage", mais il s'agit ici d'un petit abri au milieu des champs dans lequel sont organisés des tours de garde pour protéger le riz du bec des oiseaux et animaux gourmands ; les deux の marquent à nouveau le complément de nom ; on n'a donc une hutte établie provisoirement dans un champ à l'automne ;
苫をあらみ : 苫, ce sont des joncs, des herbes tressées. Le toit de la cabane est fait d'une sorte de natte d'herbes tressées ; 荒 signifie grossier, rustique ; la construction sujet adj exprime la cause : を荒み se dirait en japonais moderne par 荒いので : parce que la natte est grossièrement tressée ;
我が衣手は : 我が signifie "mon" ; 衣手 est l'équivalent de 袖 et désigne les manches d'un vêtement ;
露にぬれつつ : 露, c'est la rosée, ぬれる : être trempé ; つつ : indique la continuation et la réitération de l'action.

Dans la poésie japonaise, la ou les manches, comme nous aurons l'occasion de le voir maintes fois dans cette anthologie, sont invariablement trempées de rosée ou de larmes, si ce n'est des deux, puisque la rosée est souvent utilisée comme métaphore des larmes. Au fil du temps, évoquer la manche d'un vêtement suffira pour suggérer l'idée d'épanchement lacrymal et de chagrin, souvent amoureux. Néanmoins, rien ne permet ici une telle interprétation. On estime que la mélancolie (associée à l'automne) qui s'exprime dans ce poème reflète soit l'éloignement de la capitale lors d'un déplacement, soit l'impériale compassion à l'égard de la rude vie des paysans, quoique l'empereur n'ait jamais passé la moindre nuit dans une hutte au milieu des champs.
Dans les champs d'automne
grossière est la natte qui couvre
cette hutte précaire
mes manches en sont encore et encore
de rosée trempées


Index en romaji : aki no ta no hariho no io no tomo wo ara mi waga koromode ha tsuyu ni nure tsutsu.

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