8e poème du Hyakunin Isshu, qui me fait un peu penser à la chanson de Brassens : "Non, les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux..." L'auteur, le moine Kisen (喜撰法師), est un poète légendaire (il compte parmi les "six poètes immortels") dont on ne sait finalement pas grand-chose. Ce poème, qui figure dans le Kokinshû, est le seul qui puisse lui être attribué avec certitude (1).
わが庵は
都の辰巳
しかぞ住む
世をうぢ山と
人はいふなり
(わがいおは みやこのたつみ しかぞすむ よをうじやまと ひとはいうなり)
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わが庵は : わが、mon, 庵、 cabane, chaumière, ermitage. C'est un mot que nous avons déjà rencontré dans le poème n°2. Ici, cela désigne la maison de campagne où s'est retiré le poète ;
都の辰巳 : 都 la capitale (Heian), の marque le complément de nom, 辰巳 : le sud-est, composé des kanjis qui représentent le dragon (辰) et le serpent (巳) dans le zodiaque. Pour bien comprendre, il faut regarder un calendrier astrologique en forme de cercle (tourné dans le bon sens). On voit que le dragon et le serpent sont placés au sud-est ;
しかぞ住む : しか correspond au kanji 然 qui avec cette prononciation signifie "de cette façon" ; ぞ est emphatique et grammaticalement lié à 住む (rentai-kei), vivre ;
世をうぢ山と : le monde, la société ; うぢ山, la montagne d'Uji (sud-est de Kyôto) est avant tout un uta-makura (nom de lieu sujet de poésie) et un lieu considéré comme sauvage et isolé (cf. les dix derniers chapitres du Dit du Genji). Mais est うぢ est ici un kake-kotoba (掛詞, mot pivot, jeu de mot) reposant sur une double lecture : 世をうし(憂し) (2) - le monde est sombre, dur, amer - ou うぢ山, la montagne d'Uji. と est associer à いふ, dire, au vers suivant ;
人はいふなり: 人, les gens, は insiste sur la distinction entre le poète (je) et les autres ; いふ (shûshi-kei), dire (言う en japonais moderne) ; なり indique ici la rumeur, la présomption.
Le sens global serait donc : il paraît (なり) que les gens (人) appellent (いふ) la montagne d'Uji (うじ山) la montagne de l'amertume, (世をうし) mais moi (は) je vis ainsi (しかぞ住む) dans mon ermitage (わが庵は) au sud-est de la capitale (都の辰巳). Difficile de savoir si la dissension concerne uniquement le jugement sur la montagne Uji, ou si Kisen répond à des reproches qu'on lui ferait parce qu'il a choisi de tourner le dos au monde.
Je vous propose la traduction suivante :
Dans ma chaumière
au sud-est de la capitale
c'est ainsi que je vis
au mont d'Uji que les gens
dit-on, appellent mont de l'amertume
au mont d'Uji que les gens
dit-on, appellent mont de l'amertume
(1) Cf. Mostow Joshua, Pictures ot the heart, The hyakunin isshu in word and image, p.165
(2) dans la poésie japonaise classique, les consommes sonores n'étaient pas marquées par les signes diacritiques, qui sont ajoutés de nos jours pour faciliter la lecture. On pouvait donc librement lire うじ ou うし.
Index en romaji : wa ga iho ha miyako no tatsu-mi shika zo sumu yo wo uji yama to hito ha ifu nari
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