lundi 14 juillet 2014

Hyakunin Isshu, poème n°13 : 筑波嶺の

Tsukuba Mountain Seen from Sakura River at Hitachi
 No. 20 from the serie Views of the Famous Sights of Japan
by Kobayashi Kiyochika, 1897 @WikimediaCommons

L'auteur de ce poème est l'empereur Yôzei (陽成院、ようぜいいん), auquel on prête un comportement instable, voire violent, qui le contraignit à abdiquer. Ce tanka, publié dans le Gosenshû (n° 777), est la seule trace de son œuvre poétique. Il aurait été envoyé à Yasuko - fille de son successeur et sœur de l'empereur Uda -  qui fut l'une de ses épouses (1).

筑波嶺の
峰より落つる
みなの川
恋ぞ積もりて
淵となりぬる


(つくばねの みねよりおつる みなのがわ こひぞつもりて ふちとなりぬる)


筑波嶺 : sommet (嶺) du Mont Tsukuba (筑波), qui se trouve dans l'actuelle préfecture d'Ibaraki. Il s'agit d'un toponyme fort prisé en poésie. En effet, son somment divisé en deux pics se prête aux compositions d'amour, puisque l'on y voit généralement une cime mâle (à l'ouest) et une cime femelle (à l'est). Le Mont Tsukuba était de plus le lieu d'une fête annuelle, où garçons et filles formaient des "haies de chansons" (utagaki) pour échanger des chants. D'après le poème n°1759 (livre IX) du Man'yôshû, ces joutes poétiques (2)  étaient suivies d'ébats plus prosaïques en toute liberté :

" Au Mont Tsukuba [...]
sur le bord de l'eau
s'invitant l'un l'autre
jouvencelles jouvenceaux
vont se réunir
et dans les jeux alternés
à l'épouse d'autrui
moi je vais en conter
qu'à mon épouse à moi
un autre aille s'adresser
ce sont choses que le dieu
qui régit cette montagne
depuis les temps anciens
n'a jamais réprouvées
ce jourd'hui donc seulement
ne regardez qui vous aimez
ni ne faites de reproches " 
(trad. R. Sieffert)  


峰より落つる : 峰, c'est le pic, より a ici le même sens de から et indique la provenance. 落つる, rentai-kei de 落つ, tomber, descendre (落ちる en langue moderne) ;

みなの川 : il s'agit de la rivière qui coule du Mont Tsukuba. En raison de la nature masculine/féminine prêtée aux deux pics, on l'écrit aussi 男女の川. Cette rivière est donc le symbole des relations entre hommes et femmes ;

恋ぞ積もりて : 恋, l'amour ; ぞ est une particule emphatique ; 積もり、renyou-kei de 積もる、s'accumuler, est suivie de la conjonction て avec le sens de 積もりに積もって, s'accumuler de plus en plus ;

淵となりぬる : 淵 désigne un endroit où l'eau s'accumule et devient profonde, une sorte de piscine naturelle ; となりぬる : なり est la renyou-kei de なる, devenir, précédée de と (on trouve plus fréquemment に, mais と est assez courant dans la langue écrite, même contemporaine). ぬる, rentai-kei de l'auxiliaire verbal ぬ, indique l'achèvement, donnant le sentiment que du temps a passé et qu'il a, dans le cas présent, contribué à renforcer cet amour.

Je vous propose la traduction suivante :

Du haut des cimes
du Mont Tsukuba descend
la Minanogawa
comme ses eaux, mon amour
est allé s'approfondissant.


(1) Son histoire est romantiquement mais plutôt intelligemment mise en scène dans le 2e épisode de l'anime 超訳百人一首 うた恋い (Chouyaku hyakunin isshu uta koi) 
(2) il s'agit là d'une première forme de kusari renga, poésie en chaîne. C'est pourquoi le dieu de Tsukuba est devenu quelques siècles plus tard le dieu tutélaire des amateurs de renga. La première anthologie impériale de renga fut d'ailleurs intitulée Tsukuba-shû.

Index en romaji : tsukuba ne no mine yori otsuru minano gawa koi zo tsumorite fuchi ti nari nuru

Aucun commentaire: