lundi 18 août 2014

Le conte de la princesse Kaguya, d'Isao Takahata



C'est avec un peu de retard que j'ai vu le Conte de la princesse Kaguya, le dernier film d'Isao Takahata, l'autre grand nom du studio Ghibli, dont j'ai déjà parlé à propos de Kié, la petite peste. Je ne connais de ce conte traditionnel qu'une version simplifiée (celle des Japanese graded readers) et ne sais donc pas si les développements apportés par le film sont le reflet de l'oeuvre originale ou s'ils relèvent de la conception qu'en a Takahata (j'ai cependant cru comprendre qu'il était fidèle à l'histoire). Quoi qu'il en soit, l'histoire est très riche et somptueusement animée. Attention spoiler...

 

 

Synopsis


Un vieux coupeur de bambou, sans enfant, découvre un jour au creux d'un bambou brillant une minuscule princesse. Sa femme et lui sont ravis d'adopter ce bébé, qui devient très vite une ravissante petite fille. Heureuse de parcourir la montagne avec ses amis, Takenoko (enfant du bambou) est libre comme l'air, rieuse et audacieuse, un brin amoureuse de Sutemaru-niisan, un garçon plus âgé. Mais pendant qu'elle s'amuse, son père adoptif découvre au creux d'autres bambous des pépites d'or et de magnifiques kimonos. Il en conclut qu'il est de son devoir de faire de Takenoko une princesse et conçoit pour elle de grandes ambitions. Et c'est là que les ennuis commencent. Arrachant sa fille chérie à ses amis et à sa montagne, il l'entraîne à la capitale et lui fait donner une éducation digne d'une princesse (pas très drôle, donc) qu'elle reçoit bon gré mal gré. Si la jeune fille maîtrise rapidement tout ce qu'on lui enseigne, elle se sent vite comme un oiseau en cage. Et lorsqu'il s'agit de se marier, elle repousse fermement les prétendants les plus prestigieux, y compris l'empereur, au grand désespoir de son père. Désespoir qui s'accroît encore lorsqu'il apprend que sa chère princesse vient de la lune, et qu'elle devra bientôt y retourner.

Commentaire


Incontestablement, ce film aurait mérité plus de succès (j'ai cru comprendre qu'il n'avait pas très bien marché au Japon, et que cela avait achevé Ghibli, déjà mal en point). Parlons d'abord du dessin : il est splendide, une véritable aquarelle animée, pleine de fraîcheur et de poésie, à la palette graphique variée, cent coudées au-dessus de tous les effets 3D hyper-réalistes dont s'alourdissent vainement certains films. Même si je n'y suis pas allergique  - je suis aussi une fan de Satoshi Kon, qui faisait ça très bien - je conserve une indéniable préférence pour le dessin dessiné à la main et pour la variété d'expression qu'il permet.

Venons-en maintenant à l'histoire. Je pense que l'on peut faire diverses lectures de ce conte, tel qu'il nous est transmis par Takahata. Sur l'affiche du film figure la mention 姫の犯した罪と罰 (le crime et le châtiment de la princesse) : cela laisse à penser que les sélénites ont envoyé la princesse sur terre pour la punir d'un crime (son désir d'y aller), ce qui est d'ailleurs évoqué dans le film. Cependant, la fin très bouddhique m'incite à voir les choses autrement. Ce conte est pour moi une émouvante réflexion sur la mort - conçue ici comme le retour à un grand tout (la lune), où l'on n'éprouve ni joie ni peine - et sur l'attachement à la vie, aux choses de ce monde. Cet attachement, par les regrets qu'il laisse, empêche d'accéder au nirvana, et conduit à une renaissance sur terre. A mes yeux, la princesse n'a pas réellement été envoyée sur terre par punition, mais plutôt pour lui donner une chance de vivre de manière à connaître l'Eveil. Tiraillée entre ses propres désirs et les ambitions de son malheureux père, prise de sursauts de révolte sans lendemain, elle ne réussit pas à saisir cette chance et s'en va le cœur plein de regrets, sans avoir accepté pleinement son destin. Néanmoins, c'est bien l'échéance de la mort (enfin, du retour à la lune), qui permet à chacun (père et fille) de réaliser ce qui compte vraiment.

On peut aussi tirer de cette histoire quelques enseignements sur l'amour parental et filial : imposer ses ambitions à sa progéniture sans se soucier de ce qu'elle en pense, même avec les meilleures intentions du monde, conduit droit à la catastrophe. Car aimer, ce n'est pas imposer ce que l'on croit être bon. De même, se soumettre à un avenir auquel on n'adhère pas ne peut engendrer aucun bien : à trop souffrir de ne pas être soi-même, on finit par décevoir les attentes de ses géniteurs tout aussi sûrement qu'en affirmant franchement son désir. Aimer, ce n'est pas se soumettre pour faire plaisir et souffrir à en mourir. Le conte montre cruellement qu'une relation pleine d'amour peut aboutir à un parfait désastre lorsque chacun se trompe sur la façon de manifester son affection à l'autre.

Ce conte est donc une invitation à ouvrir son cœur et son esprit pour comprendre ce qui est véritablement important ou pas, ce que l'on aime ou pas, à interroger ses choix et ses désirs de manière à mener une vie qui ne laisse pas de regret lorsque sonne l'heure... de repartir sur la lune. それでは、また。

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