lundi 25 août 2014

Hyakunin isshu, poème n°15 : 君がため


Je vous propose aujourd'hui un petit poème printanier, écrit par l'empereur Kôkô (光孝天皇), alors qu'il n'était encore qu'un prince. Vous noterez au passage que la conception du printemps n'est pas tout à fait la même en France et au Japon. Chez nous, le printemps commence officiellement le 21 mars pour s'achever le 21 juin. Au Japon comme en Chine, le premier jour du printemps, 立春 se situe autour du 3 février et la saison s'achève vers la fin du mois d'avril, ce qui est plus proche de la définition astronomique du printemps. Autant dire qu'il s'agit d'un printemps frisquet, où les premières plantes poussent sous la neige. Maintenant que le décor est planté, voici le poème, que l'on retrouve également dans le Kokinshû (Printemps, n° 21) :


君がため
春の野に出でて
若菜摘む
わが衣手に
雪は降りつつ

きみがため はるののにいでて わかなつむ わがころもでに ゆきはふりつつ


君がため : il faut comprendre 君のため, が pouvant en langue classique marquer le complément d'objet. ため a ici  le sens de "pour". 君 peut être interprété de plusieurs façons : ce mot désigne en premier lieu un souverain, un seigneur (le Pr. Mostow traduit "For my lord's sake") ; c'est ensuite une façon de s'adresser à un proche, homme ou femme. Le destinataire de ces vers (et des herbes qui l'accompagnaient) est inconnue. Il est généralement admis que le poème s'adresse à une femme, et c'est l’hypothèse retenue par R. Sieffert ;
春の野に出でて: 春の野, les champs 野 printaniers 春の, même s'il s'agit dans ce cas de champs encore couverts de neige. 出で, renyou-kei de 出づ, sortir (出る en langue moderne) est suivi de la conjonction て (succession d'actions) ;
若 菜摘む : 若 菜 - littéralement jeunes 若 plantes ou herbes 菜 - désignent des herbes comestibles et médicinales, les 春の七草 (sept herbes du printemps), premières plantes à émerger sous la neige. Consommées au Nouvel an, elles étaient considérées comme un gage de bonne santé et leur cueillette dans la neige constitue un sujet poétique récurrent à cette période de l'année ;

わが衣手に : わが, je, mon ; 衣手 les amples manches des vêtements de l'époque ; に, sur ;
雪 は降りつつ : 雪, la neige, marquée par は (avec une nuance emphatique) ; 降り, renyou-kei de 降る, tomber, est suivie de つつ, qui indique la réitération et la continuité de l'action. Ce vers est strictement identique au dernier vers du poème n°4. Néanmoins, c'est plutôt au poème n° 1 que les deux derniers vers font référence. Le prince se place dans la lignée de son illustre prédécesseur.

Tandis que pour vous
dans les champs printaniers j'allais
cueillir ces jeunes pousses
sur les manches de ma robe
encore et encore tombait la neige

Index en romaji : kimi ga tame haru no no ni idete waka-na tsumu waga koromode ni yuki ha furi-tsutsu

8 commentaires:

mic a dit…

Bonjour,
"écrire dans un français élégant" dîtes-vous. Là est le problème. Je ne doute pas que le vôtre le soit. La question est : faut-il traduire un teste du IXème siècle en français du IXème ? L'honnêteté le voudrait mais les Français n'y comprendraient rien. Une pirouette comme dans le Dit du Gengi traduit par le regretté René Sieffert : se servir d'un langage précieux, comme celui utilisé par les marquises du XVIIème, qui tenaient salon. Et encore ! pas tout le temps, ça deviendrait vite lassant.
merci pour ce joli poème.

Lili a dit…

Quand je parle de "français élégant", je ne prétends pas que le mien le soit. C'est plutôt un idéal vers lequel tendre.
La question que vous posez est une des multiples questions qui se posent au traducteur, et c'est un vrai problème. Les poèmes du Hyakunin isshu sont, d'une certaine manière, intraduisibles : pour restituer un texte compréhensible en français, il faut de toute façon sacrifier nombre de jeux de mots et de nuances. Sauver l'essentiel du message et le faire comprendre, tel est mon but. Pour cela le français du XXIe siècle me convient mieux que le français médiéval, qui n'est de toute façon pas le mien (pour avoir longuement travaillé sur un texte plus récent - XVIe - je peux affirmer que c'est tout de même une langue assez différente). René Sieffert, dans sa traduction, a pris le même parti que dans le Dit du Genji. L'effet est parfois réussi, mais il arrive aussi que ce choix rende les poèmes plus abscons, au risque d'éloigner le lecteur.
Le recours à la langue moderne tend, me semble-t-il, à rapprocher le lecteur du poème. Mais évidemment, tout cela est sujet à débat.

Tetsuya a dit…

Tu sais qu'il y a un autre poème qui commence par 君がため? Je préfère celui-là...

Lili a dit…

久しぶりですね!Non, je ne savais pas qu'il y avait un autre poème commençant ainsi. Dans le 百人一首 ou dans un autre recueil ?

Tetsuya a dit…

C'est dans le 百人一首.
君がため 惜しからざりし 命さへ
長くもがなと 思ひけるかな

mic a dit…

Les longues manches sont parfois là pour éponger les larmes. Du coup, quand elles sont mouillées, on ne sait plus si c'est dû aux larmes ou à la neige.
Je suis heureux de vous lire aussi sur japoninfos.com. Là, au moins, quand on fait un commentaire, on n'est pas obligé de prouver qu'on n'est pas un robot. Et on peut s'y abonner à la newsletter sans être affilié à Google.
Bien à vous.

Lili a dit…

Je suis navrée que le fonctionnement de Blogger ne vous plaise pas. Etant donné que les commentaires sur mon blog sont publiés immédiatement, sans modération, il est préférable d'avoir un filtre anti-robot : sinon vous verriez apparaître des centaines de publicités plus ou moins grossières, et pas très poétiques, pour le coup.

Enfin, vous pouvez vous abonner au site sans être affilié à Google, soit par email, soit par le flux RSS, lisible avec n'importe quel lecteur de flux (sans donner la moindre information à Google dans ce dernier cas). Je ne comprends donc pas bien le sens de votre remarque à votre sujet.

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour vos traductions et analyses. J’aime beaucoup vos traductions, de même que celles de Michel Vieillard-Baron, alors que celles de René Sieffert m’apparaissent souvent guindées malgré tout le respect que j’ai pour lui.
Un travail collectif des chercheurs de l’Inalco propose une traduction du 1er chapitre du Genji monogatari (Kiritsubo), basée sur l’édition Shinchō Nihon Kotei Shūsei. J’espère qu’ils poursuivront…
https://journals.openedition.org/cipango/586