samedi 15 octobre 2016

Hyakunin isshu, poème n° 57 : めぐり逢ひて


Murasaki Shikibu (紫式部) est l'auteure du fameux Dit du Genji, considéré comme le premier roman de l'histoire de la littérature mondiale, et traduit dans notre belle langue par l'incontournable René Sieffert. On lui doit également de nombreux poèmes et un journal fragmentaire qui donne un excellent aperçu de la vie à la cour à l'époque de Michinaga. Sous des dehors modestes et vertueux, Dame Murasaki s'y montre particulièrement acerbe envers ses contemporaines et rivales, Sei Shônagon et Izumi Shikibu. Néanmoins, c'est sur un très beau poème d'amitié que nous allons aujourd'hui nous pencher.

めぐり逢ひて
見しやそれとも
わかぬ間に
雲隠れにし
夜半の月かな

 めぐりあいて みしやそれとも わかぬまに くもかくれにし よわのつきかな


めぐり逢ひて :  めぐり逢ひ est la renyou-kei de めぐり逢ふ, rencontrer (à nouveau) par chance ; la conjonction て relie cette proposition à la suivante ; めぐり逢ふ semble s'appliquer à la lune (cf. dernier vers), mais cela s'adresse en vérité à une amie d'enfance ;
見しやそれとも : 見 (renyou-kei), voir, し est la rentai-kei de き, qui marque le passé ; や exprime le doute ; それ désigne ici la lune (ou l'amie) ; と marque la citation (associé à わかぬ)  ; も a un rôle emphatique ;
わかぬ間に : わか est la mizen-kei de 分く, distinguer, discerner, comprendre ; ぬ est la rentai-kei de la négation ず ; 間に au moment où ; les deux vers associés ont ainsi le sens de : "tandis que je ne comprenais pas/n'arrivais pas à décider si ce que j'avais vu était ou non la lune/mon amie" ;
雲隠れにし : 雲, les nuages ; 隠れ, est la renyou-kei de 隠る, (se) cacher ; に est ici la renyou-kei de ぬ, qui signifie que l'action est accomplie et し marque le passé, comme au 2e vers ;
夜半の月かな : 夜半 désigne le milieu de la nuit ; 月, la lune ; かな exprime l'émotion.

Comme je l'ai dit au premier vers, pour bien interpréter ce poème, il faut comprendre que la lune désigne ici une amie d'enfance entr'aperçue après de longues années de séparation (une petite minorité estime qu'il s'agit plutôt d'un ancien amant, mais Murasaki Shikibu n'a pas la réputation d'être volage). A partir de là, on peut visualiser deux scènes : des retrouvailles en bonne et due forme, suivies d'une immédiate séparation, quelques instants passés comme un songe. On peut également imaginer que les deux femmes se sont simplement croisées par hasard (comme le laisse entendre le premier vers) dans la rue, sans pouvoir se parler, chacune entraînée vers son propre destin. L'instant où les deux femmes se sont croisées a été si bref que l'auteure n'a pas eu le temps de comprendre sur le moment, qu'il s'agissait bien de son amie ; le temps qu'elle le réalise, celle-ci avait déjà disparue, comme la lune derrière les nuages. Dans les deux cas, nous avons des retrouvailles trop brèves, à peine esquissées, apportant un mélange de joie et de tristesse... Voilà ce qu'exprime ce poème avec beaucoup de délicatesse. さすが, 紫式部 !

Aperçue par chance,
comme je me demandais
si c'était bien elle
elle s'est cachée dans les nuages
la lune de minuit

PS : si vous souhaitez voir ce poème en image, vous pouvez regarder le 11e épisode de Chouyaku hyakunin isshu: Uta koi, brodé autour de cette histoire.

Index en romaji : meguri aite mishiya sore tomo wakanu ma ni kumo kakurenishi yowa no tsuki kana

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