mercredi 17 octobre 2012

散歩もの (Le Promeneur) : encore Taniguchi !




Et oui, encore Jirô Taniguchi (谷口ジロー) ! Non que je sois obsédée par cet auteur, mais une amie japonaise m'a envoyé ce 散歩もの (Le promeneur en français). Le fait de posséder la version originale est très intéressant, car elle donne accès, outre le manga, à une postface assez riche, écrite par le scénariste, Masayuki Kusumi (久住昌之). Car sur ce manga (comme sur le Gourmet solitaire, mais j'avais négligé de le préciser), Taniguchi est dessinateur, mais pas auteur. Ce n'était pas le cas dans 歩くひと (L'homme qui marche) très proche par le thème, et ce détail a de l'importance, comme je vais vous le montrer.



Synopsis


Comme dans les deux mangas suscités, il n'y a pas vraiment d'histoire. Le personnage principal s'étant fait voler son vélo, il redécouvre le plaisir de la marche, et, au-delà, de la promenade. Quelle est la différence entre la marche et la promenade ? La première a pour but d'aller d'un point à un autre. La seconde est sans but : c'est une flânerie propice à l'inattendu, une attention aux petits détails que l'on ne voit pas lorsqu'on est trop pressé, ou que l'on marche la tête dans ses pensées et dans ses problèmes, au lieu de se concentrer sur le moment présent et de respirer, tout simplement.
Dans ces errances, notre héros fait quelques découvertes, un bouquiniste de livres d'images, un ami perdu, une boutique de geta, un restaurant de ramen, une vieille balle de base-ball, autant d'éléments qui le reconnectent à son passé et à celui d'une ville qui a beaucoup évolué, non sans une nostalgie dont la présence presque systématique est parfois pesante.

Making-off


La postface du livre, rédigée par Kusumi, constitue un véritable making-off. Pour réaliser cet ouvrage (initialement publié en feuilleton dans une revue), le scénariste explique qu'il s'est promené sans relâche en prenant force photos, qu'il a remises avec le scénario à Taniguchi. Pour chaque chapitre, il précise ses sources d'inspiration, ses difficultés (créer un personnage d'épouse qui plaise aux lectrices de la revue !)...
Le plus intéressant dans tout cela, c'est la théorisation de la promenade. Kusumi s'était imposé trois principes :
- ne pas vérifier : ne pas consulter de guide, ne rien chercher sur internet... partir à l'aveugle ; explorer de préférence les quartiers où il n'avait jamais mis les pieds, descendre à des stations où il n'était jamais descendu, etc ;
- 道草を食う : littéralement "manger l'herbe en chemin", c'est-à-dire se perdre volontairement, prendre des chemins de traverse ;
- marcher librement, sans limite de temps ou de distance, sans se préoccuper de ce qu'il y a de prévu après.
C'est dans ces conditions, explique Kusumi, que survient l'inattendu, que l'on découvre ce que l'on n'avait jamais remarqué, etc.

Critique


A mes yeux du moins, cette élévation de la promenade au rang d'art de vivre (très présente dans le dernier chapitre, qui est sans doute un des meilleurs, car exempt de tout passéisme), est sans doute ce qu'il y a de meilleur dans ce manga. C'est aussi ce thème qu'explorait Taniguchi, seul cette fois, dans 歩くひと. Mais alors que le personnage de Taniguchi semblait accueillir tout ce qui venait à lui, sans jugement, tout en ouverture et en sensation, comme si chaque promenade était une méditation, le personnage créé par Kusumi n'a pas la même légèreté, la même liberté. Il reste attaché à ses pensées, à ses souvenirs, à ses jugements, à un Japon qu'il sent disparaître.

Comme Kusumi, je regrette l'uniformisation architecturale des quartiers contemporains de toutes les capitales ; comme lui, je suis triste de voir des quartiers disparaître pour permettre la construction de grands malls commerciaux, chics et aseptisés, vendant partout dans le monde les mêmes marchandises inutiles, aux modes standardisées. Mais chez Kusumi, le "c'était mieux avant" semble revenir comme une rengaine qui finit par lasser. A l'air pénétré de ce promeneur de Kusumi, je préfère le regard curieux et serein de l'homme qui marche... de Taniguchi !

2 commentaires:

toulousejapon a dit…

Excellente analyse!Nous sommes une association franco-japonaise sur Toulouse, ça vous dirait de collaborer avec nous?^^

Lili a dit…

Merci pour votre commentaire. Je suis ouverte à toutes les collaborations, même si je dispose de moins en moins de temps à mesure que je prends des engagements :-)
Dites-moi à quoi vous pensez (sachant que je ne suis pas toulousaine), on verra ce qu'il est possible de faire.