***
C'est un shogun de piètre envergure et de constitution fragile, Ieyoshi, qui doit faire face à l'arrivée des kurofune. Il meurt en 1853, mais son successeur, Iesada, présente les mêmes faiblesses. C'est donc au conseil shogunal, et à son chef Abe Masahiro, que revient la gestion de la crise. Conscient de la faiblesse du Japon et de la menace que représentent les Occidentaux, qui pourraient dépecer le Japon comme ils ont dépecé la Chine, Abe Masahiro décide exceptionnellement de consulter l'empereur et les daimyo, ce que beaucoup interprètent comme une preuve de faiblesse. Si de nombreux daimyo sont, comme l'empereur, initialement hostiles à toute ouverture, Abe Masahiro choisit néanmoins de faire quelques concessions aux Occidentaux, avant de signer traités sur traités. Entre temps, l'hostilité des daimyo se modère, mais certains restent fermement opposés à une telle politique, d'autant que les traités imposés par les Occidentaux sont très défavorables au Japon (traités inégaux, comme en Chine et dans toute l'Asie de sud-est) et qu'ils privent le shogunat d'une partie de sa souveraineté (moins que dans beaucoup de pays).
Iesada meurt en 1858 sans descendance directe. Deux camps s'affrontent pour sa succession. D'un côté, une branche réformiste, dirigée par le seigneur de Mito, Tokugawa Nariaki, dont le champion est Yoshinobu (né en 1837). Sans remettre en cause, à ce stade du moins, l'hégémonie des Tokugawa et le rôle du shogun, l'école de Mito prône l'exaltation du nationalisme à travers la figure sacrée de l'empereur et le rejet des étrangers, ainsi qu'une réforme du régime shogunal. Dans le camp adverse, conduit par Ii Naosuke, le successeur d'Abe Masahiro, l'ouverture aux étrangers va de pair avec un conservatisme institutionnel. Ii Naosuke l'emporte en faisant de Iemochi (né en 1846) le 14e shogun, et en s'en prenant violemment aux partisans du sonno-joi (arrestations de l'ère Ansei). Sa politique a pour effet d'affaiblir encore la légitimité du shogunat et d'exacerber la haine de ses adversaires. Il est assassiné en 1860. Yoshinobu, qui avait été écarté et même arrêté, est rappelé et devient le tuteur d'Iemochi en 1862. C'est lui qui conduit désormais la politique shogunale, jouant un rôle important dans les tentatives de rapprochement entre la cour impériale et le bakufu (kobu-gattai), destinées à redorer le blason du shogunat, en profitant de la popularité montante de l'empereur.
Pour donner plus de poids à cette politique, Iemochi épouse une des sœurs de l'empereur Komei en 1861. Deux ans plus tard, il décide exceptionnellement de se rendre à Kyoto. Néanmoins l'empereur Komei s'acharne à demander qu'on chasse les étrangers (décret de 1863), alors même que le shogunat ne cesse de leur faire des concessions. Pour autant, l'empereur n'accepte pas de prendre la tête des extrémistes qui veulent en faire leur figure de proue. Il les chasse même de Kyoto en 1863, avec l'aide des clans Aizu et Satsuma. Komei continue à soutenir le shogunat jusqu'à sa mort (1867), allant même jusqu'à reconnaître les traités inégaux en 1865.
Le clan Satsuma (prochain volet de la série) cherche lui aussi à rapprocher la cour impériale et le shogunat, pour imposer ses vues sur la réforme des institutions, notamment sur la participation des grands daimyo au pouvoir shogunal. Un premier conseil de daimyo est formé, mais il se disloque peu après à cause de dissensions et de l'hostilité du bakufu. Pour Satsuma, la volonté de renverser le shogunat l'emporte alors sur les projets de rapprochement. Iemochi meurt, dans des circonstances peu claires, durant la seconde expédition punitive contre Choshu.
Yoshinobu devient alors le 15e et dernier shogun. Il tente de poursuivre les réformes qu'il a précédemment engagés, lançant le pays dans la révolution industrielle et favorisant les relations avec les Occidentaux, notamment avec les français, par l'intermédiaire de leur représentant au Japon, Léon Roches. Mais ces réformes tardives ne suffisent pas à sauver le shogunat, d'autant que le soutien français est somme toute assez faible et n'a guère pour effet que d'inciter l'Angleterre à vendre plus d'armes aux fiefs de Satsuma et Choshu. Le nouveau shogun ne sait comment faire évoluer les institutions de manière à calmer ses adversaires tout en ménageant le rang des Tokugawa. Le décès de l'empereur Komei, remplacé par le futur empereur Meiji, alors âgé de 14 ans, lui ôte encore un soutien. Pressé par les hommes de Sa-Cho (Saigo Takamori, Kido Takayoshi), qui reprennent leur place au palais impérial, Yoshinobu choisit de remettre le pouvoir à l'empereur (9 novembre 1867). Il espère ainsi couper l'herbe sous le pied de ses adversaires, en substituant au shogunat une sorte de système parlementaire, où il conserverait un rôle prééminent. Cette dernière tentative est un échec : le 3 janvier 1868, Sa-Cho procède à un coup d'Etat qui supprime définitivement le shogunat et restaure le pouvoir impérial.
Ecarté et dépossédé de ses domaines, Yoshinobu tente d'organiser la résistance mais ses troupes, mal armées et peu déterminées, sont battues à Toba et Fushimi, le 27 janvier 1868. Il s'enfuit à Edo où il essaye une dernière fois d'organiser la résistance. Cependant, conscient de la faiblesse de ses soutiens, il négocie sa capitulation. Il se retire en résidence surveillée à Mito. Sa réclusion s'achève fin 1869, après la pacification du pays. Il meurt à Tokyo en 1913.
****
Sources :
Histoire du Japon des origines à nos jours, sous la dir. de Francine Hérail, Hermann, 2010
Dictionnaire historique du Japon, coll., Maisonneuve et Larose, 2002.
2 commentaires:
Encore une fois, très intéressant et très bien raconté !
très intéressant, merci
Enregistrer un commentaire