lundi 23 décembre 2013

Millenium actress de Satoshi Kon

J'avais fait il y a quelques mois un article sur l'excellent Paprika, de Satoshi Kon. J'ai réalisé depuis que ce réalisateur que j'apprécie beaucoup est mort "prématurément", comme on dit abusivement, comme si vivre un certain temps était un dû et que la faucheuse se trompait de timing. Le fait que Satoshi Kon soit décédé avant d'avoir atteint l'âge que semblait lui promettre l'espérance de vie des hommes de son pays - n'oublions jamais que ce n'est qu'une moyenne et que la mort vient quand elle veut - est en effet regrettable, dans la mesure où cela nous prive d'un talent précieux. Et oui, non seulement la mort a son propre calendrier, mais elle se contrefiche complètement des critères auxquels nous attachons tant d'importance : qu'on soit méritant, talentueux, innocent, "dans la fleur de l'âge" ou non, que ce soit "juste" ou "pas juste", peu lui chaut. Quoi qu'il en soit, si Satoshi Kon n'est plus, il nous reste ses œuvres pour nous consoler. A commencer par Millenium actress (千年女優), le sujet du jour.

Synopsis


Genya, journaliste, obtient le privilège d'interviewer la belle Chiyoko, une actrice retirée et jadis populaire, qu'il aime et révère depuis de longues années. Reçu chez elle, accompagné d'un caméra-man, il lui rend une clé, madeleine de Proust qui amène Chiyoko à raconter son histoire. Celle-ci débute pendant la seconde guerre mondiale. La jeune Chiyoko, qui se voit proposer d'aller tourner un film de propagande en Mandchourie, croise par hasard un peintre blessé et poursuivi par les autorités japonaises pour ses activités subversives. Elle en tombe amoureuse et le cache une nuit. Il lui confie une clé et ils se promettent de se retrouver après la guerre. Le lendemain, il reprend sa fuite, sans que Chiyoko connaisse son nom ni quoi que ce soit sur lui ou la clé. Le croyant parti pour la Mandchourie, elle accepte pour le suivre d'aller y tourner le film qu'on lui a proposé. Ainsi commencent sa carrière d'actrice et une course folle vers cet amour chimérique. Chiyoko, sa clé autour du cou, poursuit sa carrière et sa quête de film en film, à travers toutes les époques, du Moyen-Age au futur, dans un délicieux mélange entre fiction et réalité.

Commentaire


On pourrait réduire Millenium Actress à une banale histoire d'amour impossible, le genre de sujet qui m'horripile. Mais ce n'est pas ça du tout. On sent assez rapidement que l'homme sans visage que Chiyoko poursuit inlassablement n'est qu'un prétexte et que le vrai sujet est la poursuite en elle-même. C'est elle qui est brillamment mise en scène et permet ce voyage extraordinaire dans l'histoire du Japon et du cinéma japonais : samouraïs et ninjas de l'ère Sengoku, geishas d'Edo, milices du Bakumatsu, seconde guerre mondiale, science-fiction, tout y passe et on sent que Satoshi Kon et ses associés s'en sont donnés à coeur joie. La musique de Susumu Hirasawa n'est pas un simple accompagnement : comme dans Paprika, elle contribue pleinement à l'ambiance du film.  Si Millenium actress mélange allègrement la fiction et la réalité, l'oeuvre est moins délirante que Paprika, tout en alliant profondeur et légèreté : si Chiyoko passe sa vie à poursuivre des chimères, si ses songes se confondent avec la réalité, est-elle en cela si différente du commun des mortels ? Que l'on coure après le succès, l'argent, le bonheur, l'amour, le pouvoir, la justice ou la révolution, poursuit-on jamais autre chose que des chimères ?

****

Comme dans Paprika, les bonus du DVD permettent de mesurer l'ampleur du travail qu'exige la réalisation d'une animation de cette qualité. Et il faut sans doute plusieurs visionnages pour en savourer toute la richesse. Il y a dans le délire de ces deux œuvres de Satoshi Kon quelque chose d'envoûtant et de joyeux, qui donne envie d'y revenir. それでは、また。

1 commentaire:

Unknown a dit…

Un film d'animation envoûtant qui balaye en peu de séquences de nombreux traits caractéristiques de la culture et de l'histoire du Japon ...
vivement recommandé pour tout amoureux du Japon !