jeudi 4 août 2016

Hyakunin isshu, poème n° 50 : 君がため



Poème n° 50... eh ! oui, me voilà arrivée à la moitié du recueil. Devinez le thème du jour... L'amour ? gagné ! L'auteur est Fujiwara no Yoshitaka (藤原義孝) et c'est un poème du petit matin, c'est-à-dire un petit mot que le monsieur écrit une fois rentré chez lui, après avoir passé la nuit avec la dame. Nous avons déjà vu, dans la même catégorie (appelée 後朝, きぬぎぬ), des poèmes pleins d'amertume, mais il semblerait que pour une fois les choses se soient bien passées... Malheureusement pour lui, la petite vérole l'a emporté bien jeune...

Accessoirement, vous noterez aussi que le premier vers est strictement identique à celui du poème n° 15. Quel suspens pour les joueurs de karuta ! Ajoutons enfin que ce poème fut publié dans le Goshûishû (n° 669).

君がため
惜しからざりし
命さへ
長くもがなと
思ひけるかな  

(きみがため おしからざりし いのちさえ ながくもがなと おもいけるかな)

君がため : il faut comprendre 君のため。 君 désigne ici la dame. ため signifie "pour". Donc "pour toi". Quant à l'emploi de が à la place de の, il a totalement disparu de nos jours mais était assez commun à cette époque ;

惜しからざりし : 惜しから est la mizen-kei de 惜しく (惜しい en langue moderne) ; 惜しくest associé à 命 (vie) au vers suivant avec le sens de "chérir sa vie" ; ざり est une des renyou-kei de la négation ず ; し est la rentai-kei de き, marque du passé. De tout cela on comprend qu'auparavant, l'auteur ne chérissait pas son existence. J'y reviendrai dans quelques instants ;

命さへ : 命, la vie ; さへ est l'équivalent de さえ en langue moderne : même ;

長くもがなと : 長く, renyou-kei de 長し signifie "long", voir "éternel" si on l'écrit 永く. もがな exprime le désir, le souhait. と est un と de citation appelé par 思ふ au vers suivant ;

思ひけるかな  : 思ひ est la renyou-kei de 思ふ, penser) ; ける est la rentai-kei de けり, qui exprime l'émotion, tout comme かな. Dans certaine version, ける est remplacé par ぬる, rentai-kei de ぬ, qui exprime l'achèvement.

Nous avons donc un poète qui, après avoir passé une merveilleuse nuit avec sa blonde, souhaite vivre le plus longtemps possible une vie qu'il était prêt à perdre sans sourciller auparavant. Selon le Pr. Mostow, l'hypothèse dominante veut que le 君がため - la femme - soit la cause de ce désintérêt initial pour l'existence, avec les explications suivantes : le poète était prêt à sacrifier sa vie pour voir cette femme ne serait-ce qu'une fois ; il était prêt à sacrifier sa vie pour son bien ; ou encore la vie lui importait peu car il ne parvenait pas à s'approcher d'elle... Je n'ai trouvé qu'une une seule opinion divergente, qui rattache 君がため à 長くもがなと plutôt qu'à 惜しからざりし、en expliquant que les cas où le 1er vers se rattache au 3e ne sont pas si rare. Dans ce cas, la femme aimée n'est pas cause du mépris initial pour l'existence, mais plutôt du soudain intérêt que l'auteur lui découvre. Parce qu'il se met à aimer, la vie qu'il dédaignait vaut la peine d'être vécue. Même si elle semble aller à l'encontre de la tradition, je préfère cette explication, qui rejoint mon premier sentiment :

Par amour pour vous, 
cette vie qui jadis 
m'importait peu,
j'en arrive à souhaiter
qu'elle dure éternellement.

Voici maintenant une traduction plus conforme à la tradition :
Cette vie que
j'étais prêt à sacrifier
par amour pour vous
j'en arrive à souhaiter
qu'elle dure éternellement.


Comme ça, vous avez le choix !

Index en romaji : kimi ga tame oshikarazarishi inochi sae nagaku mogana to omoinuru kana / kimi ga tame oshikarazarishi inochi sae nagaku mogana to omoi keru kana

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Encore merci !