mercredi 14 juin 2017

Revue de Mooc : Haïku, un monde en 17 syllabes - 4e semaine

Frog and Mouse
by Getsuju Japan
@WikimediaCommons
Voici le résumé du 4e et dernier module du mooc sur le haïku présenté par le professeur Kawamoto, qui aborde cette semaine le problème de la traduction (en anglais, mais ce qui est dit est valable pour toute autre langue) et aussi le haïku contemporain.

Comment traduire un haïku ?


Les semaines précédentes, Kawamoto-sensei a montré combien le haïku, né de la poésie classique, y plongeait ses racines, et combien il jouait sur les codes culturels et la puissance d'évocation des mots (本意, sens véritable, profond) pour exprimer beaucoup plus que ce que contiennent les 17 syllabes qui le composent. Comment dès lors traduire un haïku, sans tomber dans la paraphrase explicative ni trahir sa forme ?

On note tout d'abord que des mots équivalents n'ont pas exactement le même sens d'une langue à l'autre. Ainsi, dans la poésie japonaise, 桜, sakura, évoque les fleurs au sens large, alors qu'en français et en anglais, on pense uniquement aux fleurs de cerisiers.

De manière générale, il est difficile de traduire les 本意, la connotation des mots variant d'un pays à l'autre. Il est impossible de traduire les allusions culturelles, les échos à des textes passés (quand un nom de lieu comme Suma suffit à évoquer le Dit du Genji, par ex). L'impression donnée par le haïku ne peut être la même. Et comme l'affirme Kawamoto-sensei, si l'on parvient à rendre la moitié de ce qui est dit et sous-entendu, c'est déjà un exploit.

Il y a également un problème de forme. A l'époque où le haïku a été introduit en Occident (XIXe siècle), il n'existait pas dans notre culture de forme poétique aussi brève. Lorsque les anglais William George Aston et Basil Hall Chamberlain présentent le haïku en Europe, ce dernier n'est pas pris au sérieux et n'est pas considéré comme une forme poétique élevée. C'est pourquoi les premiers traducteurs ont tenté d'allonger la sauce. Prenons l'exemple du fameux furu ike ya, dont je donne ici une traduction simple et la plus littérale possible (l'ordre des mots est à peu près respecté), sachant que l'on peut faire des choses plus élaborées et qu'il existe au bas mot une centaine de versions :


古池や蛙飛こむ水のおと
ふるいけやかわすとびこむみずのおと
furu ike ya kawasu tobikomu mizu no oto 

Vieil étang
une grenouille plonge
bruit de l'eau


Voici l'une des premières traductions, proposée par Curtis Hidden Page (professeur à Harvard) :

A lonely pond in age-old stillness sleeps . . .
  Apart, unstirred by sound and motion . . . till
Suddenly into it a lithe frog leaps.

Curtis Hidden Page utilise une alternance de syllabes fortes et faibles (5 couples par vers) fréquente dans la poésie anglo-saxone. Il ajoute une allitération en l pour le côté liquide et en s pour le calme de l'eau, ainsi qu'une rime entre les 1er et 3e vers. Tout cela est assez élaboré mais nécessite un ajout considérable de mots, parfois tout à fait arbitraires, comme lithe (agile) frog. Au final cela ressemble plus à une explication, à une "variation sur" qu'à une traduction.

Les traducteurs se sont ensuite habitués à la forme du haïku et ont commencé à se rapprocher de la forme japonaise. Ainsi William N. Porter (qui a enseigné l'anglais à Kumamoto) propose :

Into the calm old lake
A frog with flying leap goes plop!
The peaceful hush to break.

Il y a toujours alternance syllabe forte/faible, mais elle est agencée selon un rythme 3/4/3 qui se rapproche du 5/7/5 japonais. W.N. Porter conserve également une rime entre le 1er et le 3e vers.

Enfin, Lafcadio Hearn (très connu au Japon) a proposé cette version sans concession, qui ne singe plus la manière anglo-saxonne :

Old pond―frogs jumped in―sound of water.

La brièveté est respectée, Hearn n'ajoute rien ni ne cherche pas à expliquer quoi que ce soit, allant jusqu'à supprimer les articles et les conjonctions de coordination. Selon Kawamoto-sensei, c'est sans doute la traduction la plus fidèle. Notons néanmoins que Hearn a écrit "frogs", optant pour le pluriel alors que le singulier est généralement admis (notamment depuis l'interprétation de Shida Gishû (1876-1951)). Évidemment, la version japonaise ne permet pas de trancher ce point, alors que les traducteurs, eux, doivent nécessairement choisir. Kawamoto-sensei observe que ce simple pluriel transforme la scène. D'autres interprétations avec plusieurs grenouilles existent. Dans la poésie classique, la grenouille était évoquée pour son coassement, et on ne l'imaginait pas isolée. Dans ce poème, l'originalité de Bashô est d'avoir fait plonger la ou les grenouilles plutôt que de simplement évoquer son/leur chant comme c'est habituellement le cas (détournement propre au haïkaï). Pour le principe, je vous soumets donc une version au pluriel, un poil plus élaborée que la précédente, tout en restant littérale :

 Vieil étang
sautent et plongent les rainettes
ploc de l'eau


Retour chez les cigales


Revenons maintenant au poème évoqué la semaine dernière : 閑さや岩にしみ入る蝉の声 . Voici une traduction de Donald Keene :

Such stillness –
The cries of the cicadas
Sink into the rocks.


Donald Keene a remplacé le kireji や par un tiret, fréquent dans les haïkus occidentaux, puisque nous ne disposons de mot équivalent. Les paradoxes bruit/quiétude, faiblesse de la cigale/dureté du roc sont respectés. En revanche, la connotation sur la vie éphémère de la cigale, la compassion qui vrille le cœur du spectateur est absente et ne peut être traduite.

Cette traduction ne respecte pas la métrique de l'originale, et l'on peut se demander s'il faut chercher ou non à respecter ce rythme 5/7/5 propre à la poésie japonaise. Selon Kawamoto-sensei, cela n'a pas forcément de sens, car ce rythme primordial de la langue japonaise ne fait pas écho dans la langue cible (exemple de l'anglais qui repose plus, en poésie, sur l'alternance de syllabes fortes/faibles). En l’occurrence, Kawamoto-sensei trouve la traduction de Keene très correcte, notamment pour ses allitérations (s/k), qu'on retrouve en partie dans l'original.

Si je résume, ce qui constitue la qualité d'une traduction, c'est donc sa capacité à transmettre une partie au moins du message - la plus explicite à défaut de pouvoir utiliser le jeu de références culturelles -, sans en rajouter, en respectant la brièveté de la forme et en s'approchant de son rythme, sans nécessairement s'astreindre au 5/7/5.

Le haïku ailleurs et aujourd'hui


Le haïku a eu une influence profonde sur la production poétique occidentale (imagisme d'Erza Pound, Kerouac...) et sa pratique s'étend aujourd'hui à tous. On trouve dans tous les pays des associations et des concours, et c'est devenu un moyen d'expression populaire, apprécié pour sa capacité à exprimer simplement et directement les choses, permettant à tout un chacun de porter un regard poétique sur son quotidien.

Les règles classiques de composition du haïku japonais - 5/7/5, kigo, kireji - ne sont pas toujours respectées, mais en général sont préservés le lien avec la nature, la simplicité de l'expression, et la surprise ("aha moment", sur le fond et/ou sur la forme).

Kawamoto-sensei termine par quelques exemples de haïkus composés par des lycéens japonais, en montrant que les meilleurs ne sont pas ceux qui imitent servilement les classiques, mais ceux qui parviennent à préserver les caractéristiques énoncées ci-dessus.

****

Voilà, c'est la fin de ce compte rendu. Le mooc sera sans doute relancé l'an prochain (il y a déjà eu plusieurs sessions apparemment). Même si c'était difficile, j'ai vraiment pris beaucoup de plaisir à le suivre et cet effort m'a beaucoup apporté. La personnalité humble et calme du professeur Kawamoto, ses explications patientes, son souci manifeste d'être compris par ses interlocuteurs, m'ont touchée et j'étais bien triste de le quitter, si virtuelle et impersonnelle que soit cette relation maître-élève. J'ai en tout cas compris que l'univers du haïku était d'une incroyable richesse, et qu'il ne fallait pas sous-estimer ces chefs-d’œuvre de 17 syllabes ! またね!

2 commentaires:

Hercé a dit…

Merci pour ces résumés, c'était super intéressant. Ça permet d'avoir de bons éléments pour creuser le sujet par la suite, j'avoue que j'ai toujours eu la flemme de lire les histoires de la poésie japonaise à cause des innombrables autres livres que je voudrais déjà lire, mais voilà qui m'a relancé sur le sujet.

Lili a dit…

Merci pour ce commentaire, c'est très encourageant ! Et bonnes lectures (moi aussi, je suis un peu submergée par le nombre de livres que j'aimerais lire) !