mardi 10 avril 2012

Le vagabond de Tokyo - Résidence Dokudami

Takashi Fukutani (福谷 たかし), l'auteur du Résidence Dokudami (どくだみ荘) - Le vagabond de Tokyo en français - n'a pas eu une vie facile.  Adolescent obèse, délinquant, alcoolique et drogué, il n'aime que le dessin. Il enchaîne les petits boulots avant de se faire entretenir par une strip-teaseuse. Quelques années plus tard, il se met enfin à dessiner sérieusement, mais son univers sombre n'attire guère les éditeurs. C'est en se lançant dans Dokudami So, délibérément trash et comique, qu'il rencontre le succès, à l'âge de 28 ans. En 14 ans, il publie 663 épisodes dans le Shûkan Manga, avant d'être à court d'inspiration. Son addiction à l'alcool, qui ne l'a jamais lâché, lui vaut une fin prématurée en septembre 2000, à l'âge de 48 ans. Le Lézard noir a publié une sélection d'épisodes en 3 volumes.

Yoshio, le anti-héros de la série, a beaucoup emprunté à son auteur (qu'il finit d'ailleurs par rencontrer dans le 2e volume). Peu doué pour le travail, il vivote de petits boulots et mène une existence misérable dans une pension miteuse (la résidence Dokudami), que son manque d'hygiène n'arrange guère. Ce n'est cependant pas un vagabond, comme pourrait le laisser croire le titre français, même s'il erre sans cesse dans Tokyo, à la recherche d'argent, de nourriture et de filles. Car si Yoshio a bien deux obsessions, c'est manger et baiser. Eternel puceau, en proie à tous les désirs et à toutes les déveines, il supplie son auteur de le laisser au moins une fois tirer son coup avec une jolie fille. Rien à faire, il n'a droit qu'aux laiderons, aux détraquées ou aux travestis, victime de toutes les arnaques et de tous les penchants, condamné à la frustration et à la masturbation. S'il parvient parfois à se remplir l'estomac, il n'arrive cependant jamais à garder un sou de ce qu'il gagne, la malchance lui ôtant aussitôt ce qu'il a arraché à la fortune. Vulgaire et paresseux, Yoshio n'en est pas moins attachant, car cet éternel looser garde une pathétique candeur et une droiture de cœur qui rachètent ses défauts.

Dokudami So est trash et vulgaire, certes, mais tellement drôle dans sa noirceur. Le rire est gras, l'humour n'est pas raffiné, mais c'est la seule thérapie face à la société dure et sombre à laquelle Fukutani confronte son lecteur. Le Japon qui est présenté ici n'est pas le Japon qui gagne, celui des salary men ou des samouraïs. On ne retrouve pas dans ce manga la morale proprette de beaucoup de shônen (groupe (nakama) + dépassement de soi = succès), qui s'adapte si bien au monde de l'entreprise (je précise que j'aime beaucoup les shônen, malgré tout). L'univers de Yoshio est celui des laissés pour compte, des perdants, des cas sociaux, de tous ceux que la société souhaite oublier parce qu'ils ne rentrent pas dans les clous. Désopilant, transgressif et noir, Dokudami So est vraiment un manga à part.

Aucun commentaire: