mercredi 27 mars 2013

Ashita no Joe, le shonen avant One Piece et Naruto

Ma culture manga ayant bien des lacunes, c'est en regardant Bakuman que j'ai pour la première fois entendu parler de cette oeuvre culte. Ashita no Joe (あしたのジョー), dessiné par Tetsuya Chiba sur un scénario de Asao Takamori a été publié entre 1968 et 1973 et a connu un engouement immédiat. La série a été adaptée en anime, en deux saisons, l'une dans les années 70 et l'autre dans les années 80. Seule la 2e saison (Ashita no Joe2) est disponible en DVD en France. On peut trouver quelques épisodes de la première saison çà et là sur le net, mais mieux vaut se reporter au manga, publié en 13 tomes chez Glénat, collection vintage. Si Ashita no Joe est un shônen, l'oeuvre est dotée d'une violence tragique qui la rapproche des seinen et se distingue par bien des aspects des shonen d'aujourd'hui.

Synopsis


Attention, ce résumé dévoile des moments clés de l'intrigue. Néanmoins, il est difficile d'évoquer la singularité de cette oeuvre sans les évoquer.

Yabuki Joe est un petit voyou rebelle, libre et sans scrupules, un bagarreur au sang chaud et aux poings dévastateurs. Son chemin croise celui le vieux Tange Danpei, ancien boxeur et entraîneur, alcoolique invétéré, qui comprend immédiatement son potentiel. Tange Danpei, renonçant à l'alcool, décide de tout faire pour convaincre Joe de se convertir à la boxe. Joe devient son rêve, son espoir de lendemains qui chantent (d'où le titre, Ashita no Joe). Peu convaincu, le jeune homme se contente dans un premier temps d'abuser de la crédulité du vieux qui l'entretient. Bien vite, ses frasques lui valent d'aller en maison de correction, après avoir arnaqué la richissime Shiraki Yôko, laquelle s'attache à son sort. Enfermé, Joe trouve dans les leçons de boxe que Danpei lui envoie par correspondance un remède à son ennui. Mais c'est sa rencontre avec Rikiishi Tooru, boxeur professionnel, protégé de Yôko, qui va définitivement lui donner le goût de ce sport. Sorti de prison, Joe, son compagnon de cellule Nishi et Danpei vont se battre pour faire reconnaître leur misérable club. Rapidement, le talent de Joe est remarqué, et son caractère rebelle lui vaut popularité et succès médiatique. Son ascension fulgurante, amplement favorisée par Yôko, est néanmoins parsemée de difficultés et de drames (morts ou handicap de ses adversaires) qu'il surmonte les uns après les autres, encaissant les coups, physiques et psychiques. Rien de rose dans le monde de Joe, qui passe comme une étoile filante, brûlant jusqu'à ce qu'il ne reste plus que de la cendre blanche.

Commentaires


Je n'aime pas la boxe. Je n'ai jamais bien compris que l'on puisse encourager des gens à se foutre sur la gueule et à se démolir, même avec des règles et des gants. Néanmoins, j'ai beaucoup apprécié Ashita no Joe. Je l'ai d'autant plus apprécié que j'ai en référence les shonen à succès (Naruto, One Piece, Bleach...), dont je suis totalement fan, mais dont je mesure aussi les limites et les clichés. Si l'on peut trouver dans Ashita no Joe les prémisses de quelques poncifs et grosses ficelles, il est évident que l'oeuvre possède une singularité qu'on aimerait rencontrer plus souvent.

Commençons tout de même par expliquer en quoi Ashita no Joe préfigure bon nombre de shônen qui l'ont suivi. On y retrouve bien sûr une forte valorisation de l'effort (jusqu'à l'absurde) et de la persévérance, élément qu'on retrouve dans 100 % des shonen. Ensuite, l'organisation du récit en phases d'entraînement/combats, et des combats en phases où le héros s'en prend plein la gueule/phases où il retourne la situation, est devenue très commune, même si tout cela est moins caricatural dans Ashita no Joe que cela ne l'est aujourd'hui. Voilà pour ce qui est devenu des archétypes, voyons maintenant ce qu'il y a de plus intéressant.

Tout d'abord, le personnage principal et son fichu caractère. Le héros type des shonen d'aujourd'hui est un jeune garçon plus ou moins rebelle, certes, un peu différent des autres, mais au cœur pur et droit, incapable d'une vraie malhonnêteté. Yabuki Joe est au contraire un petit délinquant sans scrupule, qui n'hésite à exploiter le pauvre Danpei, à faire passer des enfants du quartier pour des orphelins afin d'extorquer des fonds à Yôko. Il n'est pas légèrement rebelle, il est indomptable, prêt à mordre toute main qui se tend vers lui, dur, incapable de reconnaissance ou même de bon sens. Il triche (en mettant des pierres dans ses gants), il ment et ne tient aucun compte du mal qu'il peut faire aux autres (on est très loin de l'indéfectible attachement aux nakama). Et la maison de correction ne l'aurait sans doute pas transformé s'il n'y avait croisé Rikiishi, qui devient pour lui un rival, un modèle et un but vers lequel tendre. C'est pour battre Rikiishi qu'il apprend à faire confiance à Danpei. Le bon fonds de Joe va se révéler lentement - son affection pour les gosses du quartier, son respect pour ses adversaires, le "merci" qu'il finira par adresser à Yôko - sans étouffer son caractère sauvage qui reste son ressort et lui permet d'atteindre les buts qu'il se fixe. Yabuki Joe a donc une personnalité charismatique, comme tout héros de shônen, mais plus complexe et plus ambivalente. Son évolution en tant qu'homme est plus intéressante, au fond, que son évolution en tant que boxeur.

Passons maintenant au principal personnage féminin, Shiraki Yôko. La plupart des héroïnes de shônen sont des gourdes aux protubérances mammaires surdéveloppées. Au mieux, elles servent d'infirmières, comme la Sakura de Naruto, au pire, elles se retrouvent à faire la cuisine et le ménage, quand leur rôle n'est pas tout simplement d'être enlevées et secourues. Même les plus fortes finissent toujours par être éclipsées par un personnage masculin. Bref, il est rare qu'un personnage féminin ait une vraie place dans l'histoire, et c'est en cela que Yôko est remarquable. Cette belle et richissime bourgeoise aux airs de sainte-nitouche a bien de quoi taper sur les nerfs de Joe. Pourtant elle va faire preuve d'une détermination égale à la sienne pour favoriser sa carrière, lui faire rencontrer des adversaires qui lui permettent de progresser et de surmonter ses difficultés, pour l'aider sans froisser son orgueil, pour accepter ses humeurs et les petites humiliations qui lui fait subir, sans jamais renoncer, sans jamais le blâmer, avec un calme imperturbable qui en dit long sur sa force de caractère. Surtout, Yôko va aider les deux boxeurs qu'elle aime (Rikiishi Tooru et Joe) à aller au bout d'eux-mêmes, acceptant le destin qu'ils se sont choisis, à l'encontre de ses propres désirs.

Il y a aussi dans Ashita no Joe une dimension sociale qui est complètement absente de la plupart des shônen, lesquels se déroulent souvent hors du temps et hors d'un espace géographique déterminé. Joe est un orphelin de l'après-guerre, il débarque dans les doyas, des quartiers pauvres comme on n'en voit plus beaucoup dans le Japon d'aujourd'hui et comme on en rase tous les jours en Chine pour faire grands immeubles et des 2 x quatre voies qui chassent et dissimulent la pauvreté ailleurs. Joe devient d'abord le héros d'une bande de gamins, avant de devenir l'espoir et le rêve de tout le quartier, de ses anciens co-détenus, bref, de tous les laissé-pour-compte qu'il a croisés sur sa route. Loin du luxe des Shiraki, sans intérêt pour les réceptions mondaines dont on veut l'honorer, Joe reste fidèle au Pont des larmes (泪橋), à son gymnase miteux et aux pachinkos.

Enfin, Ashita no Joe n'est pas un manga à l'eau de rose, gonflé de bons sentiments et de happy ends. Il y a des morts qui ne ressuscitent pas, des vies brisées, du sang et des larmes. Surtout du sang. Et un héros terriblement attachant qui poursuit sa route en sachant qu'elle le mène à la destruction, sans fléchir, sans hésiter, sans s'économiser, désireux de brûler et heureux de pouvoir accomplir le destin qu'il s'est choisi. Cet amor fati donne à l'histoire une dimension tragique et une profondeur rarement égalée dans ce genre.

****

Comme vous l'aurez compris, Ashita no Joe est une œuvre passionnante, que je vous recommande en manga et aussi en anime (du moins les parties disponibles), ne serait-ce que pour les thèmes musicaux (vintage eux aussi). それでは、また。


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah je ne connaissais pas trop ce manga. Il m'a l'air un peu plus sombre qu'Hajime no Ippo.

Lili a dit…

Je ne peux pas te dire, parce que je ne connais pas Hajime no Ippo (je sais juste que c'est aussi un manga sur la boxe)

Bidib a dit…

Je suis comme toi, la boxe j'aime pas. Mais les premiers tomes de Ashita no Joe (que j'ai trouvé à la bibliothèque) m'on beaucoup touché. Après avoir lu ton billet, j'ai très envie de me procurer la suite.

D'autant plus que ce manga a eu un énorme impacte sur la jeunesse de l'époque. Lors des manifestation étudiantes, on brandissait des pancartes déclarant "nous sommes tous des Joe"