lundi 6 janvier 2014

Hyakunin isshu, poème n° 5 : 奥山に


Je vous propose de commencer l'année avec le 5e poème du Hyakunin isshu, sur le thème de l'automne. L'auteur, 猿丸大夫 (Sarumaru Dayû) est un personnage dont on ne sait rien et dont on se demande même s'il a existé, car on lui connaît aucun autre poème. Même celui-ci est présenté comme "anonyme" dans le Kokinshû, qui indique par ailleurs qu'il aurait été composé dans le cadre d'un concours de poésie (uta-awase).
奥山に
紅葉踏み分け
鳴く鹿の
声聞く時ぞ
秋は悲しき
おくやまに もみじふみわけ なくしかの こえきくときぞ あきはかなしき


奥 山に : dans (に) les profondeurs (奥) des montagnes (山).

紅葉踏み分け : もみぢ (紅葉), ce sont les feuilles d'automne - d’érables notamment - avec leurs éclatantes couleurs jaunes ou rouges, et plus largement les feuilles mortes (la dimension colorée importe moins dans ce poème). 踏み分け est composé de 踏み, renyou-kei de 踏む, fouler, marcher sur, et de 分け, rentai-kei de 分く(分ける en langue moderne), diviser, séparer ; on ne sait si c'est l'animal ou le poète qui foule les feuilles en les dispersant autour de lui ;

鳴く鹿の : 鳴く (rentai-kei), c'est crier ou chanter, pour un animal ; 鹿 : le cerf. On parle donc du brame du cerf, toujours associé à l'automne et à l'idée de solitude (il brame pour appeler sa compagne). の marque le complément du nom ;

声聞く時ぞ : 声, la voix, ici celle du cerf qui brame ; 聞く  (rentai-kei) ; 時 : le moment où, quand ; ぞ : particule emphatique grammaticalement liée à 悲しき. C'est en entendant le brame du cerf solitaire que le poète a véritablement ressenti la tristesse de l'automne ;

秋は悲しき : 秋、l'automne ; la particule は assure une distinction, entre l'automne et les autres saisons, ou encore insiste sur ce moment précis de l'automne. A noter que 飽き, qui signifie lassitude (celle de l'amour qui se meurt ou après lequel on court, par exemple) se prononce aussi あき、comme l'automne, ce qui renforce le sentiment de tristesse. 悲 しき (rentai-kei de 悲し) : triste.

Avant de traduire, il faut choisir : qui est le sujet du second vers ? Certains sites japonais (ils sont nombreux à expliquer ces poèmes à leurs compatriotes) tranchent catégoriquement en faveur du cerf, d'autres considèrent que le sens est plus profond si c'est le narrateur qui foule les feuilles mortes. Personnellement, je préfère la première hypothèse, et je vous propose donc la traduction suivante :

Loin dans la montagne
foulant les feuilles mortes
brame le cerf
à son cri j'ai ressenti
toute la tristesse de l'automne


Index en romaji : baka, ino-shika-cho, oku yama ni momiji fumiwake naku shika no goe kiku tokizo aki ha kanashiki

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est vrai l'automne n'est pas triste, mais pour moi il a une connotation mélancolique, une "tristesse qui fait du bien". C'est un passage du splendide été à l'hiver. Peut-être pensais-tu plus à ce sentiment-là ? En tout cas ce poème me fait penser à ca. Merci pour les explications :)

Anonyme a dit…

L'automne est en soi, une fin. Là où l'hiver est un pivot pour la vie, l'automne annonce le déclin suite à l'âge d'or du printemps et de l'été. L'hiver est un état de quiescence là où l'automne sent la vie s'en aller. Cet abandon de la vie est palpable et trompeur par sa teinte et ses couleurs. On se prépare à la mort. Le crie du cerf, grace et semblable à une corne de brume, annonce la chasse de la nature contre la vie, comme si se retournait contre les animaux leur dépendance aux ressources que la forêt leur prodigue. L'automne est d'une tristesse infinie, comme la vieillesse, mais pareillement s'accompagne de souvenirs et d'une sagesse qui brûle encore le coeur et la rétine. La mémoire du corps semble s'appliquer à la végétation, les feuilles qui tombent veulent s'imprégner de couleurs comme les fleurs et fruits des saisons précédentes.