Ce mooc de l’université de Tokyo, présenté par le professeur Shunya Yoshimi, est proposé sur Edx… en anglais. C’est là son principal point faible : même si le professeur Yoshimi maîtrise très bien la langue de Shakespeare, son élocution reste quelque peu laborieuse. Je suis persuadée que le cours serait plus fluide s’il était assuré en japonais (sous-titré en anglais pour le commun des mortels, le sous-titrage dans notre belle langue étant apparemment un rêve inaccessible).
Malgré ce léger défaut, le cours mérite qu'on y consacre du temps, la première partie (4 modules) étant à mes yeux la plus intéressante et la plus claire. A travers des archives photos et vidéo, le premier module évoque l’occupation américaine, son impact sur l’urbanisme et sur la société japonaise. Le Pr. Yoshimi montre notamment que l’occupation, complètement gommée dans les médias japonais, est cependant très présente dans la rue. Il met aussi en lumière une continuité urbanistique, au sein même de Tokyo, entre les terrains réservés à l’armée japonaise avant-guerre, les zones américaines d’après-guerre et les grands parcs de la ville contemporaine (Yoyogi). Continuité également entre les zones soumise à une forte influence culturelle américaine (car proche des bases) et les zones investies ensuite par la jeunesse japonaise comme Harajuku. Dans les deux cas, cette continuité semble avoir été gommée par l’histoire et oubliée de la plupart des gens.
Le second module est consacré à l’image de l’empereur (depuis l’ère Meiji) et plus particulièrement à celle d’Hirohito : on voit comment l’empereur chef de guerre se transforme peu à peu en gentil grand-père. Après la défaite, l’image d'Hirohito est sérieusement écornée, surtout après la désastreuse publication d’un portrait en compagnie de Mc Arthur, où comparé à l'Américain, l’empereur fait figure de gamin mal assuré, à l’étroit dans son costume. Les Américains, qui souhaitent réhabiliter son image, organisent à travers le pays une tournée médiatisée. Mais ce qui va changer la perception de la famille impériale, c’est le mariage du prince héritier, largement popularisé par les médias (les ventes de télé et le développement du réseau sont boostés à cette occasion). Ce qui prédomine désormais, c’est l’image d’Hirohito en grand-père, ses petits-enfants au premier plan… les souvenirs du régime militariste semblent bien lointains, de même que l'époque où l'empereur, sacré, était soustrait au regard du commun des mortels.
Les deux derniers modules de la première partie évoquent la transformation de la ville : les plans d’urbanisme initiaux, qui dessinaient une belle ville, pleine d’espaces verts, ont été délaissés aux profits de travaux plus rapides et directement rentables. L’organisation des JO en 1964 a accéléré le mouvement : élargissement des routes, mue rapide et drastique des quartiers anciens, développement de nouveaux centres (Shinjuku), cohabitation anarchique entre le passé et le présent. A Shinjuku s’opposent la culture des jeunes, des migrants (étrangers ou ruraux) qui restent au pied des nouveaux buildings et celle des commuters et businessmen qui voient la ville d’en haut.
La 2e partie du cours m'a paru moins claire, dans la mesure où la problématique générale et la problématique propre à chacun des 4 modules m'a parfois échappé. On n'y trouve néanmoins des éléments intéressants, comme cette réflexion à propos des Sanshu no Jingi (三種の神器), les trois trésors de l'empereur (sabre, miroir, collier), auxquels est assimilé à l'ère du tout électrique (家庭電化, électrification des foyers) un triptyque bien moins sacré : télévision, réfrigérateur et machine à laver.
Le Pr. Yoshimi montre également l'émergence d'une culture urbaine populaire (cinéma, avec une forte production de films nationaux à petits budgets, kamishibai, télé au coin de la rue ou dans les vitrines), culture qui disparaît avec l'arrivée des téléviseurs dans chaque foyer.
On trouve aussi des réflexions sociologiques (évolution des quartiers pauvres, contrôle de la société et stigmatisation des migrants étrangers et japonais venus des campagnes), une analyse sur la concentration des médias à Tokyo (qui peut ainsi imposer son regard au pays), sur la montée et la disparition de la constestation étudiante (qui finit par être absorbée par les mass-media), cette dernière marqueant la pleine entrée dans l'ère de la consommation médiatique.
Le dernier module aborde l'image de la ville elle-même, sa part d'ombre, avec une remarque intéressante sur le nombre de films qui traitent de la destruction de la ville (par Godzilla et autres), témoignage de l'obsession pour la destruction atomique mais aussi contrepoint à la reconstruction frénétique de la capitale.
Au final, même si le cours gagnerait à être plus synthétique, il offre une passionnante plongée dans le Tokyo d’après-guerre et apporte des éléments qui ne sont pas souvent mis en avant par ailleurs.
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