mercredi 9 novembre 2016

Hyakunin isshu, poème n° 59 : やすらはで



Nous continuons aujourd'hui cette série de poèmes féminins avec ces vers de Akazome Emon (赤染衛門). Comme Murasaki Shikibu, Akazome Emon faisait partie des dames de compagnie de l'impératrice Sôshi, et sa réputation de poétesse égale celle de sa consœur, qui porte d'ailleurs sur elle un jugement plutôt indulgent dans son Journal (1).  On attribue à Akazome Emon l'Eiga Monogatari (malheureusement non traduit en français).

D'après le Goshûishû (n° 680),  ce poème aurait été composé pour la sœur de notre poétesse, qui s'était vu poser un lapin par un amant indélicat. Il s'agit donc d'une variation sur le thème assez classique de la longue nuit d'attente.


やすらはで
寝なましものを
さ夜更けて
かたぶくまでの
月を見しかな

(やすらわで ねなましものを さよふけて かたぶくまでの つきをみしかな)

やすらはで : やすらは est la mizen-kei de やすらふ qui signifie hésiter. Après une mizen-kei, la particule で forme une suspensive négative (ないで en japonais moderne) : "sans hésiter" ;
寝なましものを : 寝 signifie dormir (renyou-kei) ; な est la mizen-kei de la particule ぬ, qui marque ici l'achèvement, l'accompli ; まし sert à exprimer une hypothèse qui va à l'encontre de la réalité ; ものを est une particule ayant le sens de pourtant, si seulement. Si seulement j'étais allée dormir... (plutôt que de l'attendre !) ;
さ夜更けて : 夜, la nuit, est précédée du préfixe phonétique さ ; 更けて est la renyou-kei de 更く qui évoque l'idée d'avancer dans une saison, dans la nuit, etc ;
かたぶくまでの : かたぶく (rentai-kei) est l'équivalent de 傾く en japonais moderne. Ce verbe signifie ici que la lune penche vers l'ouest et que l'aube n'est plus très loin. までの a le même sens que までに, jusqu'à ce que ;
月を見しかな : 月, la lune, 見 voir, し marque le passé (rentai-kei), かな a une valeur émotionnelle et exclamative.

Si seulement sans hésiter
j'étais allée dormir...
Tard dans la nuit
jusqu'à ce qu'elle achève sa course
j'ai regardé la lune.

(1) Murasaki Shikibu, Journal, trad. René Sieffert, POF, p. 67. Dans le même passage, sous des dehors vertueux et bienveillants, dame Murasaki porte des jugements autrement cassants sur deux autres de ses contemporaines, Izumi Shikibu et Sei Shônagon. Sa médisance et sa partialité ne sont sans doute pas étrangères à la mauvaise réputation dont a souffert la mémoire de ces deux auteures.

Index en romaji : yasurahade nenamashi monowo sayo fukete katabuku made no tsuki wo mishi kana

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