mercredi 10 mai 2017

Revue de Mooc : Haïku, un monde en 17 syllabes - semaine 1

俳句、十七字の世界 (que je propose de traduire par "Haïku, un monde en 17 syllabes") est un mooc japonais offert par un professeur de littérature comparée de l'université 大手前 (Otemae university, Hyougo-ken), sur la plateforme Gacco. Aujourd'hui fermé (mais peut-être y aura-t-il d'autres sessions ?), ce mooc est entièrement et exclusivement en japonais, ce qui demande une sérieuse motivation. Je vais essayer de faire un petit compte rendu de ce que j'ai appris, semaine par semaine.

Le rapport particulier des japonais à la poésie


D'après Kawamoto-sensei, on dénombrerait 100 000 haijins japonais (pro ou amateurs), une proportion de poètes (rapportée à la population) inégalée dans le monde. Néanmoins, il n'existe pas vraiment en japonais de terme générique équivalent à "poésie", 詩 désignant plutôt la poésie occidentale (à l'origine du moins). La poésie est désignée à travers ses différentes formes (tanka, haiku, renga, poésie occidentale). Ceci s'explique par la grande proximité des Japonais avec la poésie (à l'instar des Inuits qui n'ont pas de terme générique pour neige mais des dizaines de mots pour en désigner les différents états).

Spécificités du haïku


Pour comprendre les spécificités du haïku, Kawamoto-sensei souhaite l'inclure dans un vaste champ de formes poétiques (詩 au sens large). Ce qui frappe en premier lieu, c'est évidemment l'extrême brièveté de cette forme, assez rare dans le monde (quelques équivalents toutefois, au Bhoutan par exemple). Même si cette brièveté est une évidence, Kawamoto-sensei invite à en reprendre conscience, car c'est bien l'association brièveté / profondeur qui fait fascine et fait le succès du haïku.
Pour aller plus loin dans la compréhension de cette forme, il faut étudier ce que les autres formes poétiques japonaises (waka, renga, haikai renga) lui ont légué.

L'héritage du waka (和歌)


Le principal héritage du waka (assimilé ici au tanka) - outre la forme 5-7-5 des vers - c'est le 歌語 (kago) ou 歌ことば (uta-kotoba), c'est-à-dire un vocabulaire poétique spécifique dont sont exclus les mots d'origine étrangère (notamment chinois) et le langage populaire (de telles restrictions n'ont plus cours dans les waka contemporains). Par exemple, dans le waka classique, on employait 九重 pour parler de la cour impériale, au lieu du 宮中 ordinaire. Ce vocabulaire poétique, sans cesse réutilisé, sur des thèmes immuables (peines de cœur, changements de saison...), finit par conférer aux mots une connotation qui leur permet de suggérer beaucoup plus qu'ils ne disent (本意, sens profond, vrai sens). Par exemple, 花 désigne les fleurs de sakura (ou de prunier), mais suggère aussi l'impatience de les voir fleurir, ou le regret de les voir si vite tomber. 秋, l'automne, est la saison à laquelle se rattache un sentiment de tristesse (à partir du 古今集). La tristesse et la solitude sont plus particulièrement exprimées par l'expression 秋の夕暮, crépuscule d'automne. Grâce à ce vocabulaire spécifique et à ces thématiques restreintes, ils se créent des automatismes, des associations d'idées, qui font que tel mot va évoquer telle atmosphère et tel type de sentiment, quel que soit l'auteur ou le lecteur. Cela permet d'évoquer beaucoup en peu de mots. Le haïku - tel que l'a pratiqué Bashô en tout cas - a donc recours à ces 歌語, soit pour leur valeur traditionnelle, soit pour un usage parodique et ironique.

L'héritage du renga (連歌)


D'abord conçut comme un entraînement pour écrire des waka, le renga rencontre un réel succès et connaît son âge d'or durant les périodes Kamakura et Muromachi. Il consiste à composer des tanka à deux ou plusieurs : A compose la partie 5-7-5, B ajoute la partie 7-7. Dans les renga en chaîne, cela peut continuer indéfiniment. Les vers sont indépendants, ne sont pas forcément grammaticalement liés, mais leurs atmosphères se répondent, entrent en résonance. Le paysage et la scène évoluent au fil des vers, ce qui fait le charme du renga. On s'y limite toujours aux 歌ことば (uta-kotoba) Le principal legs du renga au haïku, c'est l'isolement du premier tercet 5-7-5 (発句、hokku), qui prend une place à part et deviendra autonome.

L'héritage du haïkai renga


Le haïkai renga naît de la volonté de rendre le trop sérieux renga plus libre et plus ludique. Haïkai signifie drôle : on favorise le cocasse, le familier. Déjà prisée à la fin de la période Muromachi, cette forme connaît son plein essor pendant la période Edo. Le haïkai renga s'autorise à employer un vocabulaire considéré comme incorrect dans le waka et le renga classique, le 俳言(haïgon) : mots chinois, vocabulaire bouddhique ou étranger, mots contemporains ou en vogue. Sa spécificité est de mélanger intentionnellement les registres, créant ainsi de la surprise, de l'inattendu.. Le haïkai renga permet aussi d'évoquer la vie, les affaires des hommes (dans leurs aspects triviaux) mais aussi la nature, en s'affranchissant des stéréotypes dans lesquels s'était enfermé le waka. Le haïkai renga lègue au haïku cette liberté dans le vocabulaire et dans les thèmes.

Le haïkai renga suppose aussi une grande liberté d'interprétation des vers, de la part des différents participants. En effet, il est de mise qu'un glissement de sens et d'atmosphère s'opère d'un groupe de vers à l'autre. Kawamoto-sensei explique ainsi qu'un renga ne doit pas se lire d'une traite, comme un tout, mais qu'on doit d'abord en apprécier le premier tercet (A), puis ce même tercet associé au groupe 7-7 suivant (A+B), puis B+C, etc. De A+B à B+C, on observera la subtilité du changement d'univers. Ce glissement est rendu possible par la liberté laissée à C de réinterpréter B, d'en tordre un peu le sens, pour ouvrir un nouveau chemin. L'auteur de B laisse donc à son successeur une totale liberté d'interprétation. De même, l'auteur de haïku, par ce qu'il ne dit pas, laisse à son lecteur une liberté similaire.

Voilà ce que j'ai appris dans le premier module. J'aimerais que ce cours passionnant soit traduit et mis en ligne sur Edx ou Coursera pour être accessible au plus grand nombre !

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