vendredi 27 mars 2015

Hyakunin isshu, poème n° 27 : みかの原


Depuis le Shin Kokinshû (n° 996), ce poème est attribué au Chûnagon (moyen conseiller) Fujiwara no Kanesuke (藤原兼輔), également connu comme le Conseiller de la Digue (1). Néanmoins, le même poème est donné comme anonyme dans un autre recueil (Kokin-Rokujô). De ce fait, l'attribution est douteuse et les informations contextuelles manquent.

みかの原
わきて流るる
いづみ川
いつ見きとてか
恋しかるらむ

(みかのはら わきてながるる いずみがわ いつみきとてか こいしかるらん)



みかの原 : "plaine de Mika", région autour de la rivière Izumi (cf. 3e vers). C'est là que se situait Kuni-kyô, qui fut très brièvement la capitale du Japon pendant la période Nara ;
わきて流るる : わきて (renyou-kei de わく + conjonction de coordination て) est un jeu de mot entre 分きて (diviser), 湧きて (jaillir). Il y a donc à la fois l'idée que la rivière Izumi jaillit et qu'elle divise la plaine dans laquelle elle s'écoule ; 流るる, rentai-kei de 流る, couler, s'écouler (流れる en langue moderne) ;
いづみ川 : la rivière Izumi. Il s'agit de l'actuelle 木津川(Kizu-gawa), dans la préfecture de Kyôto.  Ces trois premiers vers servent d'introduction aux deux suivants, avec un jeu de mot sur いづみ et いつ見, qui vient juste après, et se prononce de manière presque identique (à l'époque, les dakuten n'étaient pas notés, ce qui renforçait l’ambiguïté) ;
いつ見きとてか : いつ signifie quand, 見き est composé de 見, renyou-kei de 見る, voir et de l'auxiliaire verbal き, marque du passé. Ici le sens est moins celui de "voir" que de "rencontrer" (une femme). とてか est l'équivalent de ということか. Le vers tout entier a donc le sens de "quand diable l'ai-je vue ?" ;
恋しかるらむ :  恋しかる est la rentai-kei de 恋し, se languir de qqch, qqn. らむ marque la supposition et l'interrogation quant à la cause de quelque chose, en lien avec か au vers précédent. Si je reprends le vers précédent, on obtient donc "quand diable l'ai-je vue pour je me languisse ainsi d'elle/pour qu'elle me manque ainsi ?"

Le grand débat parmi les commentateurs consistent à savoir si les amants évoqués se sont rencontrés une fois avant d'être séparés, ou s'ils ne sont jamais rencontrés. L'hypothèse la plus couramment admise, c'est que les deux amants ne se sont jamais rencontrés et que le poète est tombé amoureux sur la seule réputation de sa belle, ou peut-être sur un échange de vers. Rien dans le poème lui-même ne permet néanmoins d'être affirmatif à ce sujet, et l'on peut aussi imaginer que le poète a entrevu l'objet de son amour.

Pas évidemment dans la traduction d'articuler les deux parties du poème, puisque le jeu de mot sur いづみ / いつ見 est irrémédiablement perdu. On peut bien sûr ajouter un comparatif (comme l'a fait en anglais le professeur Mostow), mais c'est quelque peu artificiel. On peut encore assimiler les eaux à l'amante, comme l'a fait René Sieffert, mais le sens du poème devient plus obscur. Au final, comme Michel Revon, j'ai choisi de traduire platement ces deux parties l'une après l'autre, acceptant que dans le passage d'une langue à l'autre se perdent quelques belles subtilités.


La rivière Izumi
jaillit et coule à travers
la plaine de Mika...
Quand diable l'ai-je rencontrée
pour me languir ainsi d'elle ?



(1) Néanmoins les Contes du Conseiller de la digue ne lui sont plus attribués, même s'ils entretiennent peut-être un rapport avec lui. Voir à ce sujet les explications de Renée Garde dans la traduction publiée chez Philippe Picquier. 

Index en romaji : mika no hara wakite nagaruru izumi gawa itsu miki tote ha koishikaruramu

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