lundi 4 avril 2016

Traduire le japonais, selon André Beaujard

J'ai récemment entamé la lecture du Makura no sôshi (枕草子) de Sei Shônagon (清少納言), auteur du poème 62 du Hyakunin isshu et figure majeure de la littérature du XIe siècle, avec sa contemporaine et rivale Murasaki Shikibu. Ces notes, écrites au fil de la plume (随筆, un genre à part entière de la littérature japonaise)、 ont été traduites en français par André Beaujard sous le titre de Notes de chevet (1966).

Mon but aujourd'hui n'est pas d'évoquer cette œuvre, mais de transcrire quelques propos relevés dans la préface. Beaujard explique que sa traduction s'appuie sur le texte original, bien sûr, mais aussi sur deux traductions en japonais moderne. Suivent quelques réflexions sur l’ambiguïté du japonais et les difficultés du malheureux traducteur :

"[...] je puis faire remarquer ici que tout en étant fort différente de la langue classique, celle qu'emploient à présent les Nippons garde avec elle un trait commun : extrêmement vagues, toutes deux laissent à imaginer beaucoup plus qu'elles n'expriment. En face d'une phrase obscure, l'auteur [japonais] moderne peut en écrire une autre qui ne l'est pas moins, et qui, justement pour cette raison, la rendra le mieux possible. Le français a plus de rigueur : où le japonais se passe de pronom, il en veut toujours un ; il exige que le genre et le nombre soient indiqués ; il ne souffre guère, contrairement à certaines langues européennes, qu'on emploie substantivement les infinitifs. Le traducteur doit donc pourvoir le verbe d'un sujet, qu'il a souvent bien de la peine à découvrir.

Exposer ces difficultés, c'est montrer qu'en traduisant du japonais, et particulièrement quand il s'agit du Makura no sôshi, on est à tout moment forcé de paraphraser. Presque toujours, en s'appuyant sur le contexte, sur tels ou tels renseignements, l'interprète doit choisir pour chaque phrase une des traductions possibles ; il n'est jamais sûr de rencontrer la pensée de l'auteur, et dans le cas le plus favorable, il regrettera de ne pouvoir en donner qu'un aspect : de la pierre qu'il tient entre ses doigts, seule une facette ne s'éteindra pas.

Le traducteur de japonais trouverait là, sans doute, une raison suffisante pour rester humble ; mais une autre, plus forte, lui apparaît quand l'original à des beautés qu'il ne saurait se flatter de rendre."

Voilà des réflexions auxquelles je souscris sans réserve. Devoir choisir l'une des traductions possibles, regretter de ne pouvoir exprimer qu'un des aspects du texte, avoir l'impression de l'appauvrir, de lui ôter sa légèreté en lui retirant sa subtile et riche ambiguïté, ce sont là des frustrations que j'ai appris à connaître... Traduire, c'est somme toute prendre plaisir à s'arracher les cheveux !

Aucun commentaire: