Voici un poème d'amour attribué à Onakatomi no Yoshinobu (大中臣能宣朝臣), l'un des 36 poètes immortels et des compilateurs du Gosenshû. D'après le Pr. Mostow, l'attribution est douteuse, car le poème n'apparaît pas dans l'anthologie personnelle de son auteur présumé, et est présenté comme anonyme dans un autre recueil (Kokin Rokujô, 古今六帖). Il est en revanche publié sous son nom dans le Shikashû (n°225).
御垣守
衛士のたく火の
夜は燃え
昼は消えつつ
ものをこそ思へ
(みかきもり えじのたくひの よるはもえ ひるはきえつつ ものをこそおもえ)
御垣守 : 御 est un préfixe de respect, 垣 signifie enceinte et 守 protéger. L'ensemble se rapporte au fait de veiller sur le palais impérial ;
衛士の : 衛士 désigne des gardes chargés de surveiller et protéger les portes du palais impérial. Il s'agissait de jeunes recrues réquisitionnées chaque année dans les diverses provinces. Leurs tâches étaient variées, mais la nuit, leur mission principale était la surveillance. の marque le sujet (= が) ;
たく火の : たく (rentai-kei) signifie "faire du feu, brûler" et 火 signifie "feu". の a de nouveau le sens de が.
夜は燃え : 夜, la nuit, 燃え est la renyou-kei de 燃ゆ (燃える en langue moderne), s'enflammer, brûler. La structure en は...は (sur ce vers et le suivant), sert à marquer l'opposition entre le jour et la nuit ;
昼は消えつつ : 昼, le jour, 消え, renyou-kei de 消ゆ (消える), s'éteindre, disparaître. つつ exprime la continuation et la réitération de l'action (ici 燃え et 消え). Jour après jour, les gardes allument la nuit un feu qu'ils laissent mourir le jour ;
ものをこそ思へ : on retrouve le fameux ものを思う, que nous avons vu à de multiples reprises dans les derniers poèmes, et qui, au-delà de la simple pensée "des choses" (もの), désigne les pensées d'amour et le tourment amoureux ; こそ est emphatique et lié à 思へ, izen-kei de 思ふ. En bungo, il y a en effet des règles de concordance entre les verbes et certaines particules qui les précèdent (kakari-musubi). Ainsi, こそ implique que le verbe qui le suit soit à la izen-kei (action déjà réalisée).
L'image paraît assez claire, mais il y a tout de même quelques interrogations autour de 消える. Pour certains, le poète cache aux yeux du monde des sentiments qu'il laisse s'enflammer la nuit. Pour d'autres, l'amant parvient à se divertir le jour d'un amour qui l'obsède la nuit. Enfin, certains y voient tout simplement les fluctuations du désir amoureux. Chacun a pu observer en lui-même que selon les circonstances et le moment de la journée, on peut vivre très différemment une même situation ou émotion. Cette dernière interprétation a ma faveur.
Aux portes du palais
les feux qu'allument les gardes
s'embrasent la nuit
et s'éteignent quand vient le jour
ainsi vont mes tourments
Index en romaji : mikakimori eji no taku hi no yoru ha moe hiru ha kietsutsu mono wo koso omoe
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