vendredi 10 juin 2016

Hyakunin issu, poème n° 47 : 八重むぐら



Pas d'amour au programme cette semaine. Le moine Egyô (恵慶法師) est l'auteur de ce poème automnal, composé lors d'une rencontre poétique sur le thème de "l'arrivée de l'automne dans une maison délabrée", selon les indications qui le précèdent dans le Shûishû (n° 140). Selon le professeur Mostow, la maison évoquée dans ces vers pourrait être celle qui abritait les réunions du cercle de poètes auquel l'auteur appartenait (Kawara In) : conscient, en bon moine bouddhiste, du caractère impermanent des créations et des liens que tissent les hommes, Egyō leur oppose les cycles immuables des saisons.

八重むぐら
茂れる宿の
寂しきに
人こそ見えね
秋は来にけり

やえむぐら しげれるやどの さびしきに ひとこそみえね あきはきにけり

八重むぐら : 八, au-delà du chiffre 8, sert à désigner la multiplicité ; 重 est à prendre au sens de 重なる、empiler. 八重 signifie donc de multiples couches ; むぐら (葎) désigne une catégorie de mauvaise herbe, grimpante ou rampante, qui a tendance à pousser dru ;
茂れる宿の : 茂れ, izen-kei de 茂る, signifie justement pousser dru, être luxuriant ; る, rentai-kei de l'auxiliaire verbal り exprime le résultat d'une action achevée ; 宿 signifie abri, maison. Nous avons donc une maison dont le toit ou les environs sont envahis d'herbes folles, une image courante pour décrire les maisons en ruine ;
寂しきに : 寂しき est la rentai-kei de 寂し (寂しい en langue moderne), qui signifie solitaire, avec une connotation triste (le "lonely" anglais) ; に peut avoir plusieurs valeurs. Pour certains il marque classiquement le lieu tandis que d'autres lui donnent un sens équivalent à ので (parce que) ou encore à のに (bien que) ;
人こそ見えね : 人 désigne les gens, en l'occurrence de potentiels visiteurs ; こそ est emphatique. 見え, rentai-kei de 見ゆ (見える en langue moderne)、est suivi de ね, izen-kei de la négation ず, l'ensemble signifiant littéralement "ne pas être visible" : on ne voit donc pas la queue d'un chat ;
秋は来にけり : 秋, l'automne, 来 venir ; に, renyou-kei de l'auxiliaire verbal ぬ exprime l'achèvement ; quant à けり, il a une valeur exclamative ; は, en lien avec こそ dans le vers précédent, marque l'opposition : pas l'ombre d'un visiteur, mais l'automne, lui, est bien venu !

Je vous propose la traduction suivante :

Dans la solitude
de ce lieu où foisonnent
les herbes folles
pas l'ombre d'un visiteur
mais l'automne, lui, est venu !

Index en romaji : yae mugura shigereru yado no sabishiki ni hito koso mienu aki ha ki ni keri

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel talent! Bravo et merci.

Lili a dit…

Vous voulez parler du talent de Egyō Hōshi ? Sinon le mot me paraît bien excessif :-). Quoi qu'il en soit, si ce poème vous a plu, j'en suis très heureuse.

Anonyme a dit…

C’est une très bonne explication du poème, je viens de découvrir ce blog et c’est comme avoir trouvé un trésor !

Lili a dit…

Merci, je suis heureuse de voir que ce blog a encore des lecteurs enthousiastes. Bonne lecture !