いちえふ (1F) est le petit nom donné à la centrale Fukushima Dai-ichi (福島第一). C'est aussi le nom du manga de Tatsuta Kazuto (竜田一人), un mangaka tokyoïte qui a travaillé au démantèlement de la centrale de Fukushima. Sous-titré 福島第一原子力発電所労働記 (journal d'un travailleur à la centrale de Fukushima Daiichi), le manga livre de façon très factuelle le parcours de Tatsuta depuis son embauche jusqu'à sa participation effective au démantèlement.
Tatsuta offre un récit extrêmement détaillée de son expérience, donnant un aperçu de la vie de ces hommes et de leurs difficultés quotidiennes (jungle des sous-traitants, lourdeur des procédures,
chaleur insupportable sous les combinaisons,
embouteillages aux contrôles de sortie... sans oublier le nez qui gratte sous le masque !).
Si l'auteur ne cache rien de la pénibilité de ce travail, ce n'est pas pour geindre ou se faire plaindre. Domine au contraire une impression de fierté vis-à-vis du travail accompli, de chaleur humaine et de solidarité entre ces hommes qui ne perdent pas le sens de l'humour malgré le
danger, le stress et les enquiquinements.
Surtout, Tatsuta s'abstient autant que possible de livrer son propre jugement. On devine simplement, à quelques réflexions glissées ça et là, qu'il est profondément agacé par les médias, qu'il accuse de raconter tout et n'importe quoi sans avoir mis un pied dans la centrale. Il semble rejetter l'alarmisme des anti-nucléaires (c'est du moins mon impression).
On peut se demander quelles sont les motivations de ces hommes qui prennent des risques considérables pour démanteler le monstre. Il y a certes les locaux, qui voudraient que leur région redevienne habitable et qui n'ont plus d'emploi. Mais on trouve aussi parmi les travailleurs des types venus de tout le Japon. Certains sont motivés par l'appât du gain, les travaux les plus dangereux étant bien payés. Mais comme l'observe justement Tatsuta, beaucoup de jobs périphériques mais indispensables (pompistes, contrôleurs de radiations des véhicules, livreurs d'eau, etc) exposent ceux qui les pratiquent pour de faibles salaires. Outre la nécessité pour nombre d'entre eux d'avoir un emploi, il existe manifestement des motivations de l'ordre du "devoir". Tatsuta, en tant que tokyoïte, a consommé l'électricité de la centrale et se sent redevable. Au-delà, il y a le sentiment qu'il faut bien que quelqu'un fasse le job. De nombreuses banderoles, fabriquées par les écoliers de la région ou autre, encouragent les travailleurs et traduisent la reconnaissance de la population.
On peut également s'interroger sur leur degré de conscience du risque. Chaque travailleur prend toutes les précautions nécessaires, se soumettant sans broncher aux lourdes procédures de protection et de contrôle. Chacun garde à l'esprit quelques doutes sur les possibles truandages (manipulation des dosimètres par des sous-traitants malhonnêtes, par exemple). Néanmoins, le respect des procédures leur donne l'impression de se préserver, et de contrôler le risque par l'information (nous sommes informés, nous faisons ce qu'il faut, donc ça ira). Il y a donc bien conscience du danger, mais pas volonté de sacrifice (dans les hommes que Tatsuta donne à voir, en tout cas).
Quelle est la part de réalité dans cette "maîtrise du risque" ? La part d'illusion ? Les équipements sont-ils corrects, les doses maximales sûres, les données justes, le risque contrôlable ? Difficile à dire, l'information sur le nucléaire étant particulièrement propice à la manipulation. Vu d'ici, faire un tant soit peu confiance à Tepco et à ses sous-traitants paraît naïf, mais le choix de ces hommes inspire aussi le respect.
Quoi qu'il en soit, il se dégage du manga de Tatsuta un certain optimisme qui doit réjouir les pro-nucléaires japonais. Si l'on comprend son désir de voir revivre la région, on peut légitimement s'interroger sur ce qu'il n'évoque pas ou si peu : le sort des fûts d'eau contaminée stockés à la merci du prochain tsunami, le stockage des tonnes de terre radioactive raclée pour "décontaminer". Aujourd'hui, on incite les habitants à revenir au plus vite reprendre une vie "normale", dosimètre au cou, jouant sur leur nostalgie, au mépris de leur santé et de leurs inquiétudes. On joue également sur le sentiment de devoir pour promouvoir dans tout le Japon les produits agricoles de Fukushima. Gommer l'accident, relancer l'économie, c'est la priorité. Un scientifique japonais a même prétendu que les radiations n'affectaient pas les gens souriants ! En cas d'accident nucléaire (si si, cela peut arriver, même en France), nous serons mangés à la même sauce. Alors vous savez ce qui vous reste à faire : sourire de toutes vos dents !
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture de Franckushima, un livre très complet et joliment illustré sur Fukushima et le risque nucléaire... dans notre beau pays.
1 commentaire:
Merci pour cet article.
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