mercredi 31 octobre 2012

Après Fukushima, la catastrophe en haikus


三歳で「セシウム」覚え春しぐれ
A trois ans,
Ma fille sait dire "césium"...
Averse de printemps.



Il y a quelque temps, j'avais fait toute une série sur le cinéma japonais et le nucléaire, en montrant notamment les angoisses de Kurosawa à ce sujet. Je reviens aujourd'hui sur ce thème, mais dans le domaine de la littérature. En effet, je suis tombée sur un recueil de poésie bilingue intitulé Après Fukushima (フクシマ以後), publié chez Golias. Le livre a été publié au Japon à compte d'auteur, aucun éditeur n'ayant apparemment voulu assumer cet ouvrage si manifestement anti-nucléaire, à un moment où les dirigeants japonais n'ont qu'une envie, c'est de remettre toutes les centrales en route. Qu'importe les risques, pourvu que l'économie tourne !


原発の安全神話露と消ゆ
Le mythe de la sécurité
Était aussi fragile en somme
Que la rosée d'automne

Dans sa préface l'auteur du recueil, Seegan Mabesoone, français vivant depuis 19 ans au Japon et marié à une Japonaise, évoque la lourde culpabilité qu'il ressent vis-à-vis de sa fille, pour ne pas s'être interrogé plutôt sur cette source d'énergie, qu'Albert Einstein qualifiait de « moyen le plus maléfique de faire chauffer de l’eau ». Il explique combien une catastrophe nucléaire est différente des autres, par son amplitude (les particules se dispersent sur un grand rayon) et sa durée. Il réalise que, même en l'absence de catastrophe, la production massive de déchets dangereux, dont on ne sait que faire, est une honte vis-à-vis des générations futures. Enfin, il fait le vœu que les pressions du gouvernement et des entreprises s'allègent, pour que ce sujet puisse de nouveau être évoqué librement au Japon...

Les haïkus ne sont pas l’œuvre de cet unique auteur, mais du cercle de haijin (auteurs de haïkus) qu'il a formé, le cercle Seegan, dont certains membres habitent des "points chauds", c'est-à-dire des zones où la radioactivité s'est accumulée plus qu'ailleurs, mais qui ne font pas partie du périmètre d'évacuation.

牛捨てし逃避の涙梅雨夕焼
Vaches abandonnées,
leur maître s'enfuit éploré
Dans la pluie d'un soir d'été

J'aime les haïkus, pour leur capacité à fixer en peu de mots un souvenir, une sensation, une émotion, et toutes ces choses microscopiques qui composent une existence. Dans ce recueil, les haïkus sont loin d'exprimer la sérénité de certains poèmes de Basho, qui pouvait contempler la nature sans s'inquiéter de sa contamination. Les haïkus du cercle Seegan sont simples et poignants, montrant combien la catastrophe affecte en profondeur l'existence de chacun, comment elle s'est immiscée dans la vie des victimes proches ou lointaines, dans leur vocabulaire, quel poids elle fait peser sur leur avenir et celui de leurs enfants.

公園に素足の子消えけるよ
Désormais et pour longtemps,
Il n'y aura plus d'enfants
Pieds nus sur le gazon

Le recueil étant bilingue japonais-français (ce qui n'est pas si fréquent), c'est de plus une occasion, pour ceux qui le désirent, de lire de la poésie japonaise, et de constater que le haïku est d'une redoutable efficacité pour évoquer en quelques caractères tant d'angoisses, de regrets et d'amertume.

Dernière information, l'argent récolté grâce à la vente de ce livre sera versé à l'Association pour la protection de la vie et de l’environnement face à l’accident nucléaire. Encore une bonne raison pour acheter ce recueil, d'ailleurs peu onéreux (9,13 euros). それでは、また。

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