dimanche 14 décembre 2014

Hyakunin isshu, poème n°22 : 吹くからに



Pas d'amour dans le poème d'aujourd'hui, pas d'amant délaissé oubliant son chagrin en composant des tanka pleins de jeux de mots alambiqués. Place à la nature et à la tempête avec ces vers de Fun'ya no Yasuhide (文屋康秀) reconnu comme l'un des 6 génies de la poésie du début de l'époque Heian. Ce poème a également été publié dans le Kokinshû (n° 249).


吹くからに
秋の草木の
しをるれば
むべ山風を
あらしといふらむ
 
ふくからに あきのくさきの しおるれば むべやまかぜを あらしというら 

吹くからに : 吹く (rentai-kei) souffler, pour le vent, qui est pour l'instant sous-entendu et qui apparaît au 4e vers ; l'association des particules から et に exprime ici la simultanéité : "dès que le vent souffle" ;
秋の草木の : 秋, l'automne ; 草木 : la végétation, composée de 草, herbe, et de 木, arbre ; le premier の marque le complément de nom (la végétation de l'automne), mais le second est l'équivalent de が et fait de 草木 le sujet du verbe qui suit ;
しをるれば : しをるれ est la izen-kei de しをる (しおれる en japonais moderne), qui signifie dépérir, se flétrir, s'affaisser. Dans ce contexte, on obtient le sens de ployer, se briser sous le vent. La particule ば qui suit cette izenkei exprime la cause ;
むべ山風を : むべ, "en effet", "réellement" ; 山風, le vent 風 de la montagne 山 ; を marque l'objet ;
あらしといふらむ : といふ (shûshi-kei), ici "être appelé" ; らむ : ら む marque la supposition, il est ici l'équivalent de だろう. Il sous-entend une sorte "n'est-ce pas ?" ; あらし peut être lu et compris de deux manières. Soit 嵐, qui signifie tempête, et qui se compose justement de 山 (montagne) + 風 (vent) : l'idéogramme fonctionne ici comme un rébus et les deux derniers vers sous-entendent : "puisque le kanji pour tempête 嵐 est composé de vent 風 et de montagne 山, on a bien raison d'appeler tempête le vent de la montagne". Dans un esprit ludique, tout le poème n'a alors pour objet que d'amener ce jeu de mot de lettré empreint de culture chinoise (les poèmes étaient rédigés en kana mais tous les hommes, et quelques femmes aussi, savaient lire les caractères chinois). Si ce genre de jeu subtil était apprécié au début de l'époque Heian, il l'était moins à l'époque de Teika, où l'on prétendait à plus de sérieux. On préférait alors lire あらし comme 荒らし du verbe 荒らす qui signifie dévaster, le poème signifiant alors : "parce qu'il ploie la végétation sur son passage, le vent des montagnes, à juste raison, est appelé le ravageur". Évidemment, les deux sens coexistent, et c'est là toute l'habileté de Yasuhide, qu'il est impossible de traduire pleinement.

Voici ma proposition :

Dès qu'il souffle, herbes
et arbres d'automne ploient
pour cela sans doute
le vent des montagnes est
à juste raison nommé tourmente

Index en romaji : fuku kara ni aki no kusaki no shiorureba mube yama kaze no arashi to ifuramu

1 commentaire:

AP a dit…

je ne sais pas si le rapprochement est bien justifié mais Baudelaire proposerait "émondeur" : il y a l'automne du poème dans le vers comme la montagne (ou modestement le mont)dans le mot...

"Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres"