L'auteur de ce poème, Ki no Tsurayuki (紀貫之) fut l'un des plus célèbres poètes de son temps (872-945). Compilateur du Kokinshû, il en rédigea une préface en japonais, audacieuse innovation dont le but était d'affirmer la légitimité de la langue et de la poésie du Yamato vis-à-vis du chinois (voir les articles sur la poésie japonaise et l'histoire de l'écriture). Ki no Tsurayuki est aussi l'auteur du Journal de Tosa, récit de voyage mêlant prose et poésie, entièrement rédigé en hiragana : il s'agit là encore d'une innovation, les hiragana étant l'apanage des femmes tandis que les hommes étant censés écrire en caractères chinois. Pour faire accepter la chose, Ki no Tsurayuki présente d'ailleurs l’œuvre comme le récit d'une femme de sa suite...
Le poème qui suit figure dans le Kokinshû (n°42). Suivant le texte qui le précède, il a été composé alors que l'auteur se rendait en pèlerinage à Hatsusé. Chemin faisant, il fit une halte chez une personne à laquelle il n'avait pas rendu visite depuis fort longtemps et qui lui offrit néanmoins l'hospitalité, en l'assurant qu'il était toujours le bienvenu. Le poète coupa un rameau de prunier en fleurs, et composa ces vers (1).
人はいさ
心も知らず
ふるさとは
花ぞ昔の
香に匂ひける
ひとはいさ こころもしらず ふるさとは はなぞむかしの かににおいける
ひとはいさ こころもしらず ふるさとは はなぞむかしの かににおいける
人はいさ : la personne désignée indirectement par 人 serait le propriétaire des lieux où l'auteur est hébergé. Le point de savoir si le maître des lieux est un homme ou une femme n'est pas tranché, même si l'on considère traditionnellement qu'il s'agit d'un homme. は marque une distinction et répond au は qui suit ふるさと au 3e vers : il y a d'un côté l'homme, qui a peut-être changé, et de l'autre le lieu, qui est resté le même ; いさ : équivalent de さあ..., qu'on pourrait traduire par "qui sait ?" ou tout autre expression montrant qu'on ne sait pas bien quoi penser ou faire. いさ est relié à la négation qui vient après ;
心も知らず : 心, le cœur, l'âme, l'état d'esprit ; 知らず est composé de 知ら、mizen-kei de 知る, savoir, et de la négation ず. C'est donc l'équivalent de 知らない, ne pas savoir ; も, ici "même pas". Il faut comprendre "Le cœur des gens changent aisément, je ne sais/savais pas si tes sentiments à mon égard avaient changé ou pas" ;
ふるさとは : ふるさと désigne normalement le village natal. Ici, le terme a plutôt le sens d'endroit jadis familier. Le は renvoie à celui qui suit 人 et crée une comparaison ;
花ぞ昔の: 花, ici les fleurs de prunier ; ぞ est une particule emphatique en lien avec ける ; 昔, autrefois, の marque le complément de nom ;
香に匂ひける : 香, c'est le parfum, 匂ひ est la renyou-kei de にほふ (匂う en japonais moderne), sentir, être entouré d'une odeur ; ける marque l'exclamation.
Le poète établit donc une comparaison entre les sentiments de son hôte, qui ont peut-être changé - qui sait ? - et le parfum des fleurs de ce lieu jadis familier, qui est toujours le même qu'autrefois. On peut interpréter cela de plusieurs façons : l'auteur doutait des sentiments de son hôte mais est rassuré par ses paroles ; ou bien il se demande si le bon accueil qu'il reçoit est sincère ou non.
On ne sait ce que
les gens ont au fond du cœur,
mais en ce lieu familier
les fleurs de prunier, elles,
gardent leur parfum d'antan.
(1) Ki no Tsurayuki, Le journal de Tosa suivi de Poèmes du Kokinshû, trad. René Sieffert, Tama POF, 1993, p. 66-67
Index en romaji : hito ha isa kokoro mo shirazu furusato ha hana zo mukashi no ka ni nioi keru
2 commentaires:
Bonjour, merci beaucoup pour tous ces articles.
どういたしまして :-)
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